15e Pass’Portes :  l’événement vu par des figures de Morzine

Par Elodie Lantelme -

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15e Pass’Portes :  l’événement vu par des figures de Morzine

« On ne parle bien que de ce que l’on connaît bien », dit l’adage. Commerçants, hôtelier, restaurateurs, bistrotier, employé de mairie… 6 personnalités de Morzine racontent leur vision de ce rendez-vous phare de la saison vélo estivale et du développement du VTT dans la station haut-savoyarde. Leur laisser la parole, c’est aussi plonger dans l’identité d’un authentique village de montagne.

Georges Coquillard, dit « Jojo »

Propriétaire de l’hôtel Le Crêt, président des Portes du Soleil

Un matin de Pass’Portes, Georges Coquillard devise autour d’un café en compagnie de quelques-uns de ses concitoyens. La discussion va bon train sur l’actualité, la vraie vie d’un village de montagne, un peu de politique. C’est là que nous l’attrapons, car il paraît que le président des Portes du Soleil, destination montagne qui regroupe 12 stations franco-suisses et constitue accessoirement le plus grand domaine VTT d’Europe, est un oiseau dur à saisir. Auprès de ses vaches d’Hérens dans les alpages, en train de s’affairer dans son superbe complexe hôtelier trois étoiles sis route de La Plagne, à la chasse, en montagne, sur sa Harley… l’ex-responsable des équipes de France de ski, ex-coureur auto en Formule France, ex-directeur des remontées mécaniques de la pointe de Nyon, n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Sa maman était une « Alix-Burnier ». « Une des plus vieilles familles d’ici, originaire de Montriond et Morzine », comme le précise Jojo. Le décor est planté.

Dans les villages de montagne, les noms de famille composés sont chose courante. Ils évoquent une époque rude, où on se déplaçait rarement hors des frontières locales pour aller séduire, à cause du climat austère et des conditions de vie difficiles dans les vallées enclavées. On se mariait souvent pas trop loin, et pour distinguer les familles et leurs alliances, on accolait alors les patronymes. Georges Coquillard connaît ça mieux que personne, mais son histoire diffère : « Après la guerre de 14, on mangeait des clous dans nos vallées. Elles sont trop escarpées pour être propices à l’agriculture. Mon grand-père est parti à Paris pour vendre de l’eau, à l’époque, ça se faisait beaucoup : les familles étaient nombreuses, un ou deux enfants montaient à la capitale trouver du travail et envoyaient des sous dans la vallée avant de revenir. C’est là que ma mère a fait la connaissance de mon père. Quand ils sont revenus de Paris, ils ont construit un petit pavillon, qui est devenu un petit hôtel de 7 chambres. Maintenant on en a 110, et on travaille tous en famille. »

Ce développement doit beaucoup à l’ouverture de Morzine au tourisme, dont la Pass’Portes fait partie : « L’événement a amené de la notoriété, il ne faut pas seulement le voir en termes de rentabilité, c’est un investissement. L’impact de la Pass’Portes à Morzine est énorme, surtout quand on accueille le salon. Il y a plus d’exposants quand il se tient ici, les gens aiment bien venir, c’est vraiment une station animée, surtout le soir, avec beaucoup de restaurants, et c’est central, on peut partir à droite, à gauche, aux Gets, à Châtel, et pour nous, c’est formidable ! Je crois comprendre que les Portes du Soleil, c’est un peu la Mecque du vélo, avec Whistler, non ?»

Comme toute manifestation, surtout dans un village de Haute-Savoie, où les personnalités ont le caractère souvent aussi trempé que la montagne est belle, l’histoire de la Pass’Portes n’est pas… sans histoires, justement. « On a eu des déboires avec ça. Au début, ça s’appelait la Free Raid ; elle partait des Portes du Soleil, mais quand l’organisateur est parti la monter aux 2 Alpes, il a fallu reprendre l’événement et on a recréé la Pass’Portes… qui marche très bien. Les quelques difficultés que l’on rencontre sont plutôt côté suisse, car avec l’agriculture et les paysans qui restent très prégnants dans l’économie, 1m2 d’herbe est 1 m2 d’herbe, c’est donc difficile d’ouvrir de nouveaux tracés ; chez nous, le tourisme a pris le pas sur l’agriculture. »

« On essaie de développer le vélo électrique et le cross-country aussi ; d’aller vers du VTT plus familial, pour tous. »

Logique, donc, que le deuxième plus gros rendez-vous VTT français après le Roc d’Azur ait toujours été pensé comme le coup d’envoi de la saison estivale. « On essaie de développer le vélo électrique et le cross-country aussi ; d’aller vers du VTT plus familial, pour tous. Parce que jusqu’à présent, on a surtout développé le vélo de descente. Il faut rendre le vélo à la portée de tout le monde. En plus, on a une chance inouïe, c’est que Les Gets ont organisé les Crankworx juste avant, on accueille des coupes de France, ça nous pose comme le domaine du VTT mondial. Et nous avons la chance d’avoir la montagne et les lacs à notre portée, c’est le plus beau pays du monde ! » Le directeur des Portes du Soleil depuis 11 ans a, comme il le dit, « encore de gros projets ». Parmi ceux-ci, une grande randonnée vélo, cyclo et route, qui, à la fin de l’été, partirait des Portes du Soleil et arriverait sur les rives du Léman. « Ça pose problème de faire cohabiter avec la randonnée pédestre, il faut aller doucement, développer des espaces de pratique spécifiques. » Mais on finit toujours par déplacer des montagnes.

Delphine Passaquin

Du magasin de souvenirs Nature & Compagnie

Sur la place de l’office de Morzine, Delphine tient cette jolie boutique colorée depuis treize ans. Mais l’enseigne est bien plus ancienne : « Le magasin a été lancé par ma grand-tante, qui était institutrice, en 1938. Il a été tenu par mes grands-parents, puis mes parents. C’était la première librairie-papeterie-souvenirs de Morzine, l’un des premiers magasins du village, en fait. » Son frère a repris l’activité librairie-papeterie dans une autre boutique, et Delphine, elle, a gardé la partie souvenirs.

Souvent – expérience personnellement vécue par le produit d’importation en Haute-Savoie que nous sommes –, en montagne, on demande à une tête inconnue : « T’es le fils/la fille à qui ? » Embarrassante question quand on n’a pas grandi sous les mêmes alpages. Mais pas pour Delphine. La fille de François Passaquin, ancien maire de Morzine, a d’abord été monitrice de ski dans sa station : « J’ai fait les saisons d’hiver à Morzine et d’été au Croizic, en Loire-Atlantique. Partir permet de se rendre compte de la chance que l’on a de vivre dans ce cadre. » Beaucoup d’enfants du pays le font et visitent le monde de saisons en saisons. Quasiment tous reviennent.

« Ça nous apporte beaucoup de monde… Je ne pourrais pas évaluer exactement la clientèle VTT, mais c’est vraiment un plus. »

Delphine a rouvert les portes de son échoppe au début de semaine, juste avant la Pass’Portes. Si elle ne roule pas à VTT, elle voit vraiment l’apport du vélo d’un bon œil : « C’est chouette, ça fait une activité pour la saison d’été, ça nous apporte beaucoup de monde en plus… Je ne pourrais pas évaluer exactement la clientèle VTT, mais c’est vraiment un plus, et les remontées jouent le jeu, ça prolonge la saison. Des progrès ont été faits pour permettre aux VTTistes de bien cohabiter avec les randonneurs, qui viennent parfois en famille. Je crois que le tour est sympa, ça fait une bonne pub pour les Portes du Soleil en général, c’est très très bien ! On n’a peut-être pas de retombées directes, parce que les gens sont sur le parcours, mais ça fait une bonne animation au cœur du village, les gens sont contents, tout simplement. Le club local de VTT, avec les jeunes de Morzine, était là aussi, ça motive tout le monde. En plus les accompagnants aussi profitent, ils ont le temps de se promener dans le village. » Et de passer par la boutique de Delphine, toujours bien achalandée.

Stéphane Dacheux, dit « Boubou »

Employé de la municipalité

Le soir de l’inauguration officielle de la Pass’Portes, Stéphane Dacheux contrôle les pass des invités. Technicien polyvalent de la Ville de Morzine, celui que l’on connaît plus volontiers sous le surnom de « Boubou » a connu toutes les éditions de la Pass’Portes. Il y a toujours quelque chose à faire : « Je suis sur les sandwichs, les livraisons… » Figure du village, il vient également tous les ans au Roc d’Azur avec l’équipe des Portes du Soleil. L’occasion de changer d’air, un peu, pour ce Parisien installé à Morzine depuis près de vingt ans, quand l’ancien maire l’a recruté pour travailler sur les événements du palais des Sports. Boubou se souvient d’ailleurs bien de l’époque des Avalanche Cup, « sur la place centrale, avec des bosses de terre et des champions dans la rue de la Soif. Il y en a même un qui m’a donné son maillot, je l’ai toujours. » Pour lui, c’est essentiellement la clientèle anglaise qui fait travailler les 10 magasins de VTT à Morzine. Mais après cette Pass’Portes 2018, il a le sentiment que « c’était beau, avec plus de monde dans les stands ». Du pain sur la planche pour les contrôles de Boubou.

Hervé Marullaz

Propriétaire du snack Le Télébenne et du restaurant d’altitude Les Crêtes

Avec son suffixe « – az », le patronyme de ce grand gaillard malicieux à l’accent savoyard marqué plonge dans la Savoie historique. Celle de l’arpitan. Une langue parlée depuis le Lyonnais jusqu’au sud de la Franche-Comté, qui mêle des noms aux origines germaniques ou celtes. Le « z » ne s’entend pas (prononcer « Marullaze » vous classe résolument dans le clan des « Monchus », les citadins cossus souvent moqués par les locaux – on est toujours le touriste de quelqu’un). Il indique juste, à en croire le site geneawiki.com, que« le “a” des noms féminins et le “o” des noms masculins sont atones ». En gros, on insiste surtout sur l’avant-dernière syllabe, quitte à oublier la dernière. L’hiver, Hervé « Marull’ », donc, tient le réputé restaurant Les Crêtes et, l’été, la cabane-snack perchée au sommet du télésiège de Zore. Deux adresses ouvertes depuis la conception de la liaison entre Morzine et Avoriaz, en 1987-1988, et la création du secteur de Super-Morzine, portée par Georges Coquillard. Hervé a vu la Pass’Portes grandir et s’épanouir. Mais ça n’était pas gagné :

« L’événement a eu du mal à s’implanter. La première fois qu’on nous a présenté le projet, c’est comme pour la création d’Avoriaz un peu plus tôt, en 1967, les gens ont été un peu méfiants. Avec le VTT, on ne savait pas vraiment où on allait, et c’était une grosse structure, il fallait s’engager sur deux jours à l’époque, faire beaucoup de bénévolat et mettre tout le tracé en place. Les remontées mécaniques y sont allées, donc on a suivi. Mais le premier qui a commencé l’histoire n’a pas dû avoir une tâche facile ! Ensuite, toutes les années, il y a eu davantage d’engouement. Le concept de faire tourner le village de départ est bien. Il faut que ça perdure, que ça s’améliore, développer l’électrique. Ça nous fait connaître mondialement. »

Pourtant, l’impact direct de la Pass’Portes sur les affaires de cet ancien pisteur-secouriste n’est pas majeur : « Les gens n’ont pas forcément besoin de nous, c’est tellement bien organisé, ils ont des ravitaillements répartis sur le parcours. Mais on se doit d’être ouverts, même pour renseigner les gens, ou s’il y a un petit bobo, il faut jouer le même jeu. » En revanche, Hervé a vu le visage de la clientèle se modifier au fil des ans : « Les VTTistes ont augmenté de façon phénoménale. Sur la nouvelle installation juste à côté, ils ont ouvert et fait 800 % de fréquentation la première année, en développant des pistes plus accessibles, des bleues, des vertes. En fait, les vélos ont chassé les piétons ici. Avant, c’était vraiment la balade familiale pour les randonneurs… »

Marcheur en montagne et VTTiste à l’occasion, Hervé déplore la cohabitation parfois difficile entre les deux, et les incivilités des cyclistes :« Sur la passerelle François-Baud (au cœur du village de Morzine), c’est souvent qu’on croise des vélos, et ils ne mettent pas pied à terre, quitte à te bousculer. Mon père est propriétaire d’un chalet de chasse, avec des ruches à descendre, et on voit parfois des gars passer à vélo puis mettre leurs trajets sur le net. On dispose déjà d’un grand terrain de jeu pour les VTT, respectons les autres, les piétons, les lieux.»

Son « lieu », Hervé l’a appelé le Télébenne, en hommage à une vieille remontée mécanique, arrêtée en 1967 : « On a construit la passerelle François-Baud pour y accéder. C’était assez précaire, c’étaient des paniers dans lesquels il fallait courir pour monter et descendre. Ça marchait été et hiver, mais après un incendie, ils ne l’ont pas refait. » On trouve quantité de photos de l’installation sur les murs du snack d’Hervé, dont la vue panoramique sur les montagnes coupe le souffle.

« J’ai vécu une belle existence dans nos montagnes, sourit Hervé. Après, est-ce que le développement n’a pas été trop vite ? Je ne saurais le dire… »

« J’ai vécu une belle existence dans nos montagnes, sourit Hervé. Après, est-ce que le développement n’a pas été trop vite ? Je ne saurais le dire, d’autant qu’il y a beaucoup d’Anglais et on est très près de l’aéroport de Genève, ça bouge vite. J’ai un cousin qui a la ferme à côté et il est obligé de monter encore plus haut en altitude, parce que les gens n’ont plus de tolérance pour les cloches des vaches, les alpages… où va-t-on ? Mais le VTT, c’est une bonne idée, c’est vraiment le vélo qui tire la saison d’été aujourd’hui ! Et la Pass’Portes, c’est un très joli événement, qui nous fait connaître mondialement. Aujourd’hui, même l’été, on a des habitués, des Suisses, Italiens, Espagnols, Allemands, Autrichiens… on fidélise la clientèle, qui se compose de 70% d’étrangers. Et ça, c’est plus le VTT qui l’a amené. »

Thierry Thorens

Chef restaurateur à La Chamade

On doit à Thierry Thorens le lancement de la fête du Cochon, un événement-hommage aux traditions locales, hélas arrêté depuis, mais aussi des livres sur la gastronomie, et des sculptures : « Ça a commencé en cuisine, avec la graisse, le sucre, et puis j’ai évolué sur des matières plus dures, la ferraille, la pierre, le modelage… » L’homme est un touche-à-tout talentueux, mais « cuisinier avant tout », comme il le dit, un chef qui aime les produits locaux et les circuits courts pour proposer toute l’année une cuisine de caractère et insolite adaptée aux saisons. L’été, il travaille surtout les herbes, parfois cueillies dans sa montagne, que sa famille habite depuis des générations.

Après un tour de France dans le compagnonnage, il est revenu s’installer à Morzine, pour développer la crêperie-pizzeria familiale et en faire la table réputée qu’est devenue la Chamade aujourd’hui. Au 90, route de la Plagne, au cœur du village, il a vu le tourisme évoluer : la demande croissante de bien-être, l’envie d’un climat plus frais… « Puis le VTT est arrivé l’été, et ça, c’est extraordinaire pour découvrir la montagne, naviguer de station en station grâce à un seul forfait et bénéficier de structures d’accueil de qualité dans chaque halte, ça, ça ouvre des horizons immenses dans un territoire comme la Haute-Savoie, où les espaces sont plutôt parcellaires. Ça nous amène énormément du monde, des jeunes et moins jeunes, une clientèle familiale… Ce VTT de randonnée a vraiment remplacé l’activité de randonnée à pied, pas forcément ludique pour les enfants, alors qu’avec le vélo, il y a de la mécanique, un fétichisme de l’objet, et on va plus vite qu’à pied ! Avec ce vélo, on retrouve un nomadisme moderne. »

Comme souvent quand on apporte de la nouveauté, ça n’a pas toujours été bien vu, se rappelle le chef : « Quand le VTT a démarré, Morzine était l’espace d’entraînement du raid Gauloises, ça amenait du monde et il y avait du VTT dedans, tous les sociaux-professionnels se sont mobilisés et ça a obligé les remontées mécaniques à ouvrir l’été, ce qui n’était vraiment pas gagné, sauf sur la pointe de Nyon. De là a découlé une meilleure synergie dans les Portes du Soleil, qui s’opérait non plus seulement sur l’hiver, mais durant toute l’année. »

Mais il a fallu que chacun s’adapte. Comprendre cette nouvelle clientèle, aux besoins spécifiques : « Au départ, les loueurs de meublés n’étaient pas trop habitués. Ils savaient ranger des skis, ça n’occasionne pas de terre, de boue… et ils n’avaient pas forcément envie de laisser le garage pour mettre les vélos. Et on m’a raconté des anecdotes de vélos lavés dans les baignoires… Mais petit à petit, tout le monde s’y est mis… En fait, à partir du moment où les remontées mécaniques – qui sont le moteur de l’économie locale – ont joué le jeu, la collectivité a suivi en installant des modules ludiques, des stations de lavage, davantage de pistes ludiques pour que la cohabitation avec le randonneur se passe bien, que le VTT ait son espace réservé, comme dans une piscine, où chacun a sa place. »

« Ces ouvertures estivales des remontées, uniquement dues au VTT à la base, profitent aussi aux randonneurs. Des gens plus âgés, des familles, peuvent aller marcher en altitude avec moins d’effort… »

Alors qu’on souligne souvent la difficulté de cohabitation VTTistes-randonneurs, Thierry, lui, porte un autre regard sur elle : « Ces ouvertures des remontées, uniquement dues au VTT à la base, profitent aussi aux randonneurs. Des gens plus âgés, des familles, peuvent aller marcher en altitude avec moins d’effort, c’est un vrai partage de la montagne. » Et pour ce chef d’une brigade de trente à quarante personnes suivant les saisons, le développement lié au VTT n’est pas fini : « 95% des VTT à Morzine sont des descendeurs. Ils sortent entre copains ou entre copines, mais ne représentent pas la majeure partie des pratiquants vélo en général. Ce n’est pas la clientèle de randonnée familiale que l’on retrouve sur la Pass’Portes. Nous pouvons donc encore développer ce segment-là, avec l’arrivée massive de l’électrique aussi, ça laisse des perspectives. En fait, le VTT est un excellent vecteur d’activité collatérale pour nous. Et puis vous savez, les VTTistes qui viennent chez nous aiment bien découvrir notre bar à fromages. En fait, une fois qu’ils sont changés, ce sont des gens normaux ! »

Roger Mandin

Du bar Chez Roger, concepteur de la Free Raid Classic et Mondial du VTT

Impossible de séjourner à Morzine et de parler de VTT sans passer chez Roger Mandin. L’homme est une figure, connue pour sa gouaille autant que pour avoir ouvert la première piste de DH du village, la PPD (« pour “piste permanente de descente” et aussi en clin d’œil à PPDA des Guignols, dont je suis assez fan », précise-t-il). C’était en 1997. Deux ans plus tard, avec l’appui de la collectivité, il a lancé la Free Raid Classic. L’ancêtre de la Pass’Portes. Le concept était posé : la première grande randonnée VTT de France à travers les Alpes, avec des ravitaillements savoureux, des dotations produits gratifiantes, et un salon de marques au milieu de tout ça.

On doit beaucoup à ce Vendéen formé aux Beaux-Arts à Paris, qui a un temps travaillé aux 2 Alpes, puis en agence de pub à Grenoble avant de tenir un bar à Avoriaz et de venir s’installer à Morzine, le pays de sa femme, la mère de ses deux fils, Jules et Oscar. C’est peut-être sa nature artistique, mais il a signé un paquet de pistes dans le massif alpin : le four-cross de Châtel, celui des Gets avec Stéphane Jany, des tracés sur Crans-Montana, Saint-Gervais… « Je l’ai toujours fait en collaboration avec un mec qui roulait bien plus vite que moi, pour promouvoir des pistes accessibles – qui vont attirer le cœur de la clientèle – mais qui ont de l’intérêt pour des pilotes pro aussi. »

Le VTT, il l’a découvert à Avoriaz ; son développement sur Morzine est aussi lié à Vincent Ranchoux, ancien rédacteur en chef de VTT Mag : « On était sur un télésiège au ski et j’expliquais à Vincent que sous nous, l’été, il y avait des gars qui venaient rouler mais que rien n’était prévu pour eux, contrairement à Chamonix, aux Houches et Saint-Gervais, où ils utilisaient le réseau piétons. Donc je suis allé voir les Remontées mécaniques, j’ai emmené les dirigeants à Métabief et ensemble, on a décidé de créer la première piste de VTT de DH de loisirs – pas de compétition, hein ! , de loisir. Ça a mis 2 ans, on avait des petits moyens ; la municipalité nous a mis à disposition une petite pelleteuse et on a tracé avec François Dola. Ça a été une réussite du premier coup, l’engouement pour la piste est très vite monté, Dirt Magazine a réalisé un reportage ; on a même eu un sujet dans Capital, sur M6. Afin de faire de la pub pour la piste, on a organisé une coupe de France de descente, une Avalanche Cup, et les Kiwis et les Anglais sont arrivés, ils ont tracé de partout, des secret spots, des singletracks légendaires. C’est là que le Pleney a acquis sa renommée mondiale, à l’égal de Whistler et Kingstone, car il fait le bonheur de tous les VTTistes, des top 10 mondiaux aux amateurs. »

 

Aujourd’hui, derrière la tireuse à bière de son établissement, au 132, rue du Bourg, Roger a pris du recul.

Derrière son bar, une tasse de café à la main, Roger évoque aussi son histoire personnelle avec la Pass’Portes, qui remonte donc à la Free Raid Classic : « J’ai été le créateur, le papa et le propriétaire de la Free Raid Classic VTT Mag des Portes du Soleil et Mondial du VTT. J’ai présenté ce projet au GIE (groupement d’intérêt économique) des Portes du Soleil avec Jean-Pierre Calvet, le président du GIE et père de Jean-Noël Calvet, l’actuel excellent shaper d’Avoriaz, pour faire la promotion des Portes du Soleil, qui étaient toutes neuves et commençaient à promouvoir le VTT sur la destination. Ça a séduit le GIE, qui m’a donné un budget de départ pour monter ce projet. Je me souviens, on était en mars 1999 et l’événement devait se dérouler en juillet. Il faut comprendre que dans les Portes du Soleil, il existe 2 structures : le GIE des Portes du Soleil, qui regroupe les professionnels et gère les remontées mécaniques, et l’association des Portes du Soleil, qui supervise les offices de tourisme. J’étais piloté par le GIE. »

Pour sa première édition, la Free Raid Classic a accueilli 1000 personnes. 2000 en 2000. 3000 en 2001. La courbe de croissance était belle et l’avenir semblait tracé. Jusqu’à 2004. Quand Roger a organisé la Free Raid Classic aux 2Alpes. Les mots se font plus prudents, on sent le terrain délicat : « Ce départ a été vécu comme une trahison par beaucoup de Morzinois. Mais moi, je n’avais aucune envie de partir organiser ça ailleurs, à la base. Simplement, j’avais eu des échos comme quoi je risquais de me faire débarquer de l’organisation que j’avais moi-même montée, alors que j’en étais propriétaire. Les gens le savent peu, mais sur le contrat qui me liait pour l’organisation de la Free Raid, en cas de déficit de l’organisation, c’était moi qui devais éponger les pertes, je l’avais voulu comme ça, du coup, ça impliquait vraiment que ça marche ! Donc quand j’ai vu qu’il était question que le salon ne soit pas installé dans les endroits les plus favorables à son succès et comme, en tant que Vendéen, j’ai aussi un caractère bien affirmé, je suis parti aux 2 Alpes avec la Free Raid Classic. Et les Portes du Soleil ont, de leur côté, monté la Pass’Portes la même année. »

Aujourd’hui, derrière la tireuse à bière de son établissement (lequel devait, à l’origine, s’appeler le Tribe Café, en accord avec Fred Glo, le patron de Tribe Sport Group), au 142, rue du Bourg, Roger a pris du recul. Il n’hésite pas à rendre hommage à Jojo : « C’était un précurseur, un visionnaire, qui portait le succès touristique de Morzine à bout de bras, il a créé Super-Morzine, Nyon, Pleney-Chamossière. À l’époque, c’est d’ailleurs lui qui m’avait soufflé l’idée, pour intéresser les stations, de faire tourner le salon dans chaque village à chaque édition. » Dans les montagnes haut-savoyardes où je vis, on dit souvent que pour prétendre à se présenter comme « étant d’un » village, il faut compter au moins 5 générations au cimetière. Aujourd’hui, Roger Mandin, lui, est juste heureux de voir que 8000 personnes étaient présentes sur cette 15édition de la Pass’Portes, et que, à sa façon, il fait partie de cette histoire.

ParElodie Lantelme