Rencontre | Ivo Camilli, légende italienne du trailbulding

Par Christophe Bortels -

  • Nature

Rencontre | Ivo Camilli, légende italienne du trailbulding

Si vous avez déjà roulé à Finale Ligure, il est très probable que vous soyez passé sur l’une des traces créées par Ivo Camilli. Discret et modeste, le trailbuilder italien est pourtant une véritable star dans son domaine. Nous l’avons rencontré là où il se sent le mieux : sur les trails, au milieu de la nature.

Il ne devait être qu’un interlocuteur parmi d’autres lorsque nous préparions notre dossier sur les origines du VTT à Finale Ligure. Pourtant, après notre rencontre, c’est une évidence : Ivo Camilli mériterait bien un article à part…

On pourrait s’attendre à rencontrer un homme bourru, qui n’aime pas être dérangé quand il travaille seul au milieu de nulle part. Mais c’est avec chaleur et un grand sourire qu’Ivo nous accueille, outils sur l’épaule, alors qu’il s’apprête à entretenir H Veloce, l’un des nombreux trails de Finale Ligure. Le trailbuilder, qui fêtera ses 56 ans en fin d’année, est une figure emblématique de la région, l’un de ces passionnés qui ont véritablement « construit » Finale et permis à la ville italienne d’atteindre une renommée mondiale. Les « Ciao, Ivo ! » fuseront d’ailleurs tout au long de notre entretien, au fil des passages de vététistes sur la trace. Aucun doute, l’homme est une star.

Mais Ivo est avant tout un enfant du pays et un amoureux de sa région. « Je suis né à Feglino, c’est mon pays, là où j’ai commencé à shaper », explique ce fils et petit-fils de tailleurs de pierre. « Mon premier trail, c’était Passaggio a Nord Ovest, il y a une bonne vingtaine d’années. C’est là que cette merveilleuse histoire a débuté. J’ai commencé à créer et aménager des traces parce que mes amis faisaient du vélo, et moi un peu aussi. J’ai été motivé par la passion de voir les vélos dans les bois où je suis né, où j’ai grandi. En fait, aménager les sentiers me plait plus que de rouler ! »

Bienvenue à Ivoland

Ivo a ensuite rencontré des amis animés par la même passion, ils ont commencé à travailler ensemble, jusqu’à créer une véritable économie. « Les premiers qui ont réalisé ce travail, ce sont Fabrizio Valenti, Fulvio Balbi, Riccardo Serrato, et tant d’autres qui s’y sont mis pour le plaisir. Puis, à force, on a commencé à organiser et entretenir tout cela, et maintenant le monde entier vient y rouler ! » C’est ainsi que sont nées au fil des années des traces désormais célèbres comme Cromagnon, Oribago ou Neanderthal, qui constituent « Ivoland », le secteur créé par Ivo. Un endroit où une sculpture en son honneur a même été installée fin 2020. « Je voudrais aussi y faire des sentiers à parcourir à pied car quand on passe à vélo, il y a des choses qu’on n’a pas le temps de voir. En marchant, on les remarque davantage, ces bois ont une histoire millénaire. »

On imagine sans peine la satisfaction énorme apportée par la venue sur ses traces de tant de vététistes, du débutant au pilote EWS : « Je suis heureux de voir des athlètes de tous niveaux rouler ici, et je me sens accompli parce que je vois que notre travail est apprécié », confie Ivo. « On y met de l’effort, de la passion et on ne s’en lasse pas quand on voit le monde qui vient ici, car ça veut dire qu’on a fait quelque chose de bien. Mais par-dessus tout, je suis heureux de voir des jeunes, des enfants, des familles avec enfants faire ce sport. Ça me plait de voir ces jeunes dans les bois où on est né et où on a grandi, parce que la nature est magnifique. C’est mieux d’être sur un sentier que dans une salle de jeu ou autre… »

Mais au fait, lui qui roule toujours, a-t-il des traces préférées ? « Tous les trails sont beaux, mais les sentiers qui me plaisent le plus sont Cravarezza, Crestino, Isallo Extasy, ou encore Cromagnon, même si ce n’est pas flow. Le dernier trail qu’on a fait depuis Castel Gavone jusqu’à Finalborgo est très beau aussi. »

« Un sentier doit être dorloté comme une belle femme »

Tout en nous racontant son parcours, Ivo s’active sur une portion de trace qui nous semblait pourtant, à nos yeux, parfaitement propre et praticable. Mais le trailbuilder voit des choses qui échappent au simple pratiquant. Savoir-faire, anticipation et adaptation sont ici les maîtres-mots. « Sur les trails, la première chose qu’on doit faire c’est contrôler l’écoulement de l’eau parce que si c’est mal géré, cela peut faire des dégâts. On coupe les branches et on fauche pour donner la hauteur et la largeur nécessaires aux bikers, on nettoie le sol afin qu’il soit bien visible, on dégage les pierres amenées par le passage des animaux ou autres, etc. En période sèche on fait surtout du nettoyage, et en hiver on peut plus facilement travailler la terre. »

« Les trails ne vieillissent pas si on les entretient bien. Un nouveau trail demande du temps mais une fois qu’on l’a aménagé, il suffit de peu pour le maintenir en bon état si on le fait souvent. Un sentier doit être dorloté comme une belle femme. Il ne faut pas le négliger, mais toujours en prendre soin avec amour… »

Bien entendu, une bonne partie de ce qui fera le succès et la pérennité d’une piste se joue au moment de sa création. « Quand on trace, il ne faut pas penser à son propre plaisir mais il faut essayer de réussir à créer un trail qui soit accessible à tous. Lorsqu’on shape un saut par exemple, on prévoit toujours une alternative pour passer à côté. On essaye aussi de suivre le terrain, de faire quelque chose de flow et surtout de créer des chemins bien lisibles, c’est important pour la sécurité. »

Trailbuilding le jour, restauration le soir

La création et l’entretien de traces, ça prend du temps, beaucoup de temps. Pour autant, le trailbulding n’occupe pas Ivo à plein-temps. Le soir, il travaille en effet dans un restaurant situé sur le plateau du Manie. Quant à ses jours de repos, il les passe à la campagne, où il possède une maison. Mais le reste du temps, c’est bien dans les bois qu’on le retrouve.

« Dès que j’ai quelques heures, je vais sur Little Champery, Ca Bianca, Crestino, Ingegnere… C’est une passion qui devient un métier afin de maintenir la propreté et la sécurité des sentiers, ainsi que celle du territoire. On ne s’occupe pas seulement des bikers mais aussi des piétons, des chemins au pied des falaises d’escalade, etc. »

« Mais pour l’instant, ce n’est pas vraiment devenu un travail qui permet d’en vivre, je shape parce que je veux que tout le monde soit en sécurité. Quand quelqu’un se fait mal ça nous déplait donc on cherche toujours à faire de notre mieux, et pour ma part, je n’en ai jamais assez… »

« Le consortium est une chose magnifique »

Le consortium « Finale Outdoor Region » mis en place récemment et réunissant tous les acteurs de terrain pourrait bien changer la donne pour les trailbuilders comme Ivo, puisque son but est entre autres de mieux les rémunérer grâce à un nouvel écosystème : merchandising, FOR You Card, etc, dont les revenus seront réinjectés dans l’entretien des pistes. « Le consortium est une chose magnifique. C’est un effort qu’on fait dans la région de Finale pour pouvoir se développer et donner une visibilité à notre territoire et nos villages comme Feglino, Calice,… qui sont à l’intérieur des terres mais qui sont une partie importante, si pas vitale, de toute cette ressource. Calice, Calizzano, Bardineto, Mallare, Spotorno, Pietra Ligure,… On est tous ensemble et on essaye de grandir ! »

Si vous êtes de passage à Finale et que vous croisez Ivo sur les traces, n’hésitez pas à le saluer. Le sympathique trailbuilder ne parle qu’italien, mais un « Ciao Ivo, grazie ! » lui fera déjà très plaisir !

ParChristophe Bortels