Rencontre⎜Anne Terpstra : l’éclosion après la dépression

Par Juul van Loon -

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Rencontre⎜Anne Terpstra : l’éclosion après la dépression

Le suspense a été très intense pour la victoire au classement général de la coupe du monde féminine 2022 ! Figurant parmi les prétendantes au titre, Anne Terpstra n’a pas réussi à entrer dans l’histoire en devenant la première Néerlandaise à remporter le général, mais surtout, elle n’a pas pu défendre ses chances jusqu’au bout. Au lieu de rivaliser avec Alessandra Keller et Rebecca McConnell pour la victoire finale, une inflammation d’une glande salivaire lui a fait vivre une agonie dans la course au maillot de leader. Malgré cette épreuve, la multiple championne des Pays-Bas a accepté de revenir sur sa saison pour Vojo. Et elle le fait avec un regard positif, tourné sereinement vers l’avenir malgré la déception. Car c’est une nouvelle Anne Terpstra que nous avons en face de nous ; une femme forte et enfin bien dans sa peau après avoir réussi à venir à bout d’une dépression chronique l’hiver dernier. Rencontre : 

Lorsque nous avons rencontré la championne néerlandaise peu après la manche finale de la coupe du monde à Val Di Sole, le gonflement de sa joue était déjà atténué et masquait à peine le grand sourire que lui donnait sa performance. Bien que Anne Terpstra ne soit pas montée sur la plus haute marche du podium à Val di Sole, elle était visiblement heureuse de la troisième place au classement final, après quelques courses qui ont été difficiles pour elle.

Pour Vojo, la pilote du Ghost Factory Team a accepté de revenir sur cette saison particulière, et de la replacer dans son contexte.

« La saison a été fantastique, et même un dernier week-end aussi étrange ne peut pas gâcher tout cela. Je suis fière de ce que j’ai fait, et aussi de ce que nous avons montré avec l’équipe »

« C’est vrai que j’étais en position de gagner le général de la coupe du monde et qu’une bête infection m’a empêchée de défendre mes chances. C’est dommage, mais je n’ai pas de regrets. Nous avons fait face à la situation du mieux que nous pouvions et je retiens surtout qu’avec l’équipe, nous avons eu une saison fantastique. Et même un dernier week-end aussi étrange ne peut pas gâcher tout cela. J’ai fait tout ce que j’ai pu, malheureusement ça n’a pas été suffisant. Cela n’enlève rien au fait que ces journées ont été difficiles mentalement. Surtout le vendredi, lorsqu’il est apparu clairement à l’hôpital qu’il allait être très difficile d’assurer une performance optimale. Après ça, je savais que je ne pouvais que faire de mon mieux.« 

On peut présumer qu’un virus gastro-intestinal est à l’origine de l’inflammation de sa glande salivaire. Terpstra ne se sentait déjà pas bien lors de la journée du jeudi, et dans la nuit suivante, un gros gonflement s’est développé dans sa joue. Un vendredi mouvementé a suivi, où elle s’est vue prescrire des antibiotiques après avoir passé plusieurs heures dans un hôpital italien. Une journée complète de repos plus tard, elle avait quelque peu récupéré, mais n’était toujours pas en mesure de performer à son meilleur niveau lors du cross-country olympique le dimanche. Elle a terminé à la 45ème place… Pas suffisant pour garder le maillot de leader.

« J’ai tout de même commencé avec l’espoir que ça fonctionnerait, se souvient Terpstra. J’avais tous les scénarios dans ma tête. Au début, cela semblait plutôt prometteur, car Alessandra (Keller) et Rebecca (Mc Connell) n’ont pas non plus eu une journée exceptionnelle. Mais je me sentais mal sur le vélo. Je ne sentais plus mes jambes tellement j’étais nauséeuse.

Chaque fois que j’étais dépassée, j’entendais des paroles encourageantes. C’était si agréable à vivre »

 J’ai pris un gel, pour avoir un peu plus d’énergie et c’est quelque chose que je ne fais jamais en temps normal. Mes seules pensées étaient « tiens bon, tiens bon ». Ce qui m’a permis de continuer, ce sont les applaudissements : de la part des gens sur le côté, mais aussi de la part de mes concurrentes. Chaque fois que j’étais dépassée, j’entendais des paroles encourageantes. C’était si agréable à vivre. »

Au cours d’un week-end aussi pénible, elle a quand même pu profiter des superbes instants et, à peine le week-end achevé, elle a pu se remémorer toutes les réussites que la saison lui a apportées. Terpstra l’admet honnêtement : elle n’aurait pas pu faire cela l’année dernière, ni même les années précédentes.

« C’était ma saison la plus facile, et je ne dis pas ça pour rien« , déclare-t-elle avec franchise. « J’ai toujours eu des problèmes avec mon humeur. Pas une dépression profonde, mais il y a eu de grandes périodes où je n’étais pas heureuse à côté du vélo. Cet hiver, un psychologue m’a diagnostiqué une dysthymie, une dépression chronique. Grâce à lui, j’ai aussi appris à y faire face. »

« C’est difficile de décrire ce que j’ai ressenti auparavant. Depuis que je suis jeune, j’étais régulièrement troublée par mes propres pensées négatives.

Aujourd’hui, Anne Terpstra n’a plus de symptômes, et elle peut se considérer comme sortie de cette ornière. « Il est difficile de décrire ce que j’ai ressenti auparavant. Depuis mon plus jeune âge, j’étais régulièrement troublée par mes propres pensées négatives. Si ça dure pendant longtemps, ça peut vous épuiser incroyablement. L’hiver dernier, les choses n’ont tout simplement pas fonctionné. Il n’y avait pas moyen de continuer, alors j’ai demandé de l’aide et cela m’a permis de surmonter les difficultés de manière inespérée. On m’a donné un plan étape par étape pour m’aider à gérer ces pensées négatives. Ce n’est vraiment pas très difficile, mais quelqu’un a dû me l’expliquer. Maintenant, je n’ai plus du tout ces pensées.  »

Paradoxalement, le fait que Terpstra ait été souvent malheureuse ces dernières années ne transparaissait pas dans ses performances. Depuis son passage chez Ghost en 2016, elle connaît une évolution permanente. Elle est devenue une pilote incroyablement stable dans le top mondial et elle a rarement terminé en dehors du top 10 d’une Coupe du monde ces dernières saisons. Jusqu’à être en lice pour la victoire finale cette saison.

« Alors que je ne me sentais pas au mieux, j’ai décroché l’argent au général de la coupe du monde 2021« , indique-t-elle. « Très étrange en effet, mais c’est parce que ma dépression ne me dérangeait pas sur le vélo, j’arrivais à la gérer. D’ailleurs, parfois ça se passait bien pendant un certain temps. C’est pourquoi il a fallu du temps avant que je commence vraiment à travailler dessus. Puis, je me suis sentie prête. Mais tout n’est pas allé mieux d’un coup de baguette magique. Il s’agit d’un processus étape par étape dans lequel vous ne pouvez pas sauter une étape. Je n’ai d’abord pas pu croire que c’était soudainement terminé. Mais en fait, si, et c’est une expérience fantastique à vivre. Le plus beau, c’est que je peux à nouveau ressentir des émotions et être sincèrement heureuse. »

Il en va de même pour la troisième place en Coupe du monde : lorsque la victoire vous échappe sans que vous en soyez responsable, on peut éprouver des regrets. Mais ici, ce n’est pas le cas. Notamment parce qu’elle peut compter sur un environnement qui lui permet de réaliser de telles performances et de passer au-delà des échecs. A ce niveau, son entraîneur Guido Vroemen, et son équipe dans laquelle on retrouve son compagnon allemand Thomas Wickles comme manager, jouent un rôle particulier. « Guido est important pour moi en tant qu’entraîneur, mais tout aussi important en tant que personne. Il me donne confiance, c’est un véritable pilier. Mais beaucoup de choses doivent se passer avant qu’il ne panique. Le fait que je puisse travailler avec mon compagnon en plus est spécial. Nous vivons beaucoup de choses merveilleuses ensemble mais nous restons professionnels, personne dans l’équipe n’a à être dérangé par le fait que nous avons une relation. »

« Je pense que ma force est que j’ai toujours donné le maximum à l’entraînement »

Autre avantage : elle a déménagé en Allemagne il y a quelques années en raison de son partenaire. Près de la frontière tchèque, elle et Wickles vivent ensemble dans une région parfaite pour le VTT. « Et j’ai la chance que Thomas sache piloter incroyablement bien. Je suis devenue, en partie grâce à lui, une meilleure descendeuse. » Mais elle est aussi devenue plus forte sur le plan physique ces dernières années, à en juger par ses performances. « Difficile de dire si c’est vraiment le cas. Je pense que ma force est que j’ai toujours donné le maximum à l’entraînement. Cela donne beaucoup de confiance dans le box de départ : je me tiens là et je sais que quelque chose de bien va ressortir de cette journée. Bien que, bien sûr, un pépin peut toujours arriver sans qu’on y soit pour rien, comme à Val di Sole avec cette infection. »

Parce qu’elle est maintenant bien dans sa peau, elle peut non seulement profiter davantage de son sport et de la vie en dehors de celui-ci, mais aussi supporter des entraînements plus lourds. « Vroemen n’a plus besoin d’être prudent avec moi« , argumente-t-elle. C’est peut-être aussi pour cela que Terpstra a remporté sa deuxième manche de coupe du monde à Andorre cette année (photo de droite). Même si ce parcours est en quelque sorte gravé dans sa chair : c’est l’endroit où, en 2019 (photo de gauche), elle est devenue la première pilote néerlandaise à remporter une manche de coupe du monde.

« Je ne sais pas ce qu’il se passe entre Andorre et moi pour y avoir remporté les deux victoires mondiales de ma carrière. Apparemment, les montées et les descentes me conviennent bien. Ce qui est bizarre, c’est qu’en 2019, je savais d’avance que j’allais gagner. Je n’osais le dire à personne à l’époque, mais je le sentais, alors que les semaines précédentes ne se déroulaient pas forcément super bien. Cette année, au contraire, je n’ai pas du tout eu ce sentiment. Par contre, cette fois, c’est plutôt tout le monde autour de moi qui l’avait pressenti. Même mon psychologue, qui ne connaît pas du tout le monde du vélo, pensait que j’allais gagner. »

Ce sont des succès qui donnent envie d’en engranger encore davantage. Anne Terpstra est toujours aussi ambitieuse. Elle participera encore à quelques petites courses cette saison, mais elle se concentrera ensuite surtout sur 2023. « Le seul avantage de ne pas décrocher la Coupe du monde cette année est que cet objectif reste ouvert pour la saison prochaine ! »

Anne Terpstra peut être suivie sur son compte Instagram.
Retrouvez aussi quelques-uns des temps forts de la carrière d’Anne Terpstra au fil de nos articles : https://www.vojomag.com/?s=terpstra

ParJuul van Loon