Présentation & premier essai | Specialized Crux 2022 : un gravel pour les esthètes

Par Olivier Béart -

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Présentation & premier essai | Specialized Crux 2022 : un gravel pour les esthètes

Le gravel est un segment de plus en plus important. Signe de ce développement, les gammes s’étoffent et, aux côtés de son Diverge au profil plus baroudeur, Specialized vient de renouveler complètement son Crux, plus orienté performance et utilisé également au plus haut niveau en cyclocross. Durant deux journées, nous avons eu l’occasion de le prendre en main sur les majestueuses allées de la forêt de Soignes, non loin de Bruxelles, et de le voir à l’œuvre sur une manche de la coupe du monde de cyclocross à Overijse. Présentation, récit et impressions à l’issue de ces quelques jours :

La précédente version du Specialized Crux était plutôt née comme un pur vélo de cyclocross… qui a par la suite été utilisé par pas mal de riders sur des courses d’endurance et de gravel. Pour ce nouvel opus, la marque au grand « S » a tenu compte de cette réalité et l’a inclus dès les premières phases du développement. Le but : concevoir un vélo très performant, qui pourra être utilisé tant en CX que pour du gravel dans un esprit compétitif et roulant, histoire de venir se replacer parfaitement aux côtés du Diverge plus orienté vers les parcours cassants et l’esprit aventurier/baroudeur (voir notre présentation ici). Voici comment les principaux axes de travail ont été retenus pour rencontrer ce cahier des charges ambitieux.

Un travail de fond sur les formes

Specialized travaille désormais avec Peter Denk, un ingénieur dont le nom n’est pas inconnu dans le VTT puisqu’on lui doit quelques machines emblématiques conçues en leur temps pour d’autres marques (Cannondale et Scott principalement). La légèreté a toujours été un de ses « dadas », et ce n’est pas étonnant de le retrouver aussi à la manœuvre pour la conception du Specialized Aethos, un vélo de route dont le poids du cadre passe sous la barre des… 600 grammes !

Ici, pour un usage off-road, pas question de descendre aussi bas, mais on atteint tout de même 725 g en version S-Works haut de gamme (fibres Fact 12R) et 825 g pour le cadre carbone Fact 10R qui équipe le reste des modèles (Pro, Expert et Comp). Ce qui constitue des valeurs très basses pour le segment, d’autant qu’il est homologué pour des pilotes jusqu’à 125 kg.

Le poids, c’est une chose, mais ce qui importe, c’est de faire un ensemble cohérent dont le comportement colle au programme. Et, tant dans le travail du poids que pour la définition du comportement du vélo, Peter Denk et ses équipes insistent sur le fait que c’est bien plus le travail sur les formes du châssis qui influence ces paramètres que le choix des fibres de carbone utilisées. Jusqu’à 150 g auraient été gagnés sur ce nouveau châssis Crux, rien que par le travail sur les formes.

Derrière des lignes extrêmement sobres et épurées, un regard attentif permet de s’apercevoir que les tubes partent dans l’ensemble d’une section ronde au départ (on n’a pas ici de préoccupations aérodynamiques) pour évoluer très subtilement à certains endroits en section ou vers de formes un peu plus complexes. C’est cet ensemble de détails quasiment invisibles au premier regard qui donnent, au final, l’âme de la machine et qui lui permettent d’être aussi légère.

Le but est aussi d’offrir une certaine capacité, finement dosée, d’absorption des vibrations pour rendre le cadre confortable et pour maximiser le contact des roues avec le sol en évitant les rebonds qui font perdre de l’énergie et du rendement. On parle aussi d’une recherche d’un bon dosage de déformation, principalement sur la partie basse du cadre, pour restituer l’énergie mise par le pilote à chaque coup de pédale.

Toujours dans une optique d’optimisation du poids, et parce que ce créneau est plutôt celui du Diverge, on ne retrouve pas ici de fixations autres que celles des deux porte-bidons, ni d’espace de stockage dans le cadre (Swat Door). L’objectif ici n’est pas d’emporter des bagages ou beaucoup de matériel pour des virées de plusieurs jours. A l’avant, on ne trouve pas non plus de système de suspension, contrairement au Diverge, mais une fourche en carbone très légère, qui passe sous la barre des 400g.

Le dégagement des pneus, autre nerf de la guerre

Un autre grand axe de travail sur ce vélo a trait au dégagement des pneus, car une grande partie du comportement de la machine va dépendre de la monte de pneumatiques qu’on va pouvoir lui mettre. Bien sûr, on pourra y placer des pneus (ou des boyaux) très fins pour du cyclocross, voire même des roues de route à l’occasion, mais pour le gravel, Specialized a tenu à offrir le plus grand nombre d’options possible au pilote.

Le nouveau Crux permet donc le montage de pneus jusqu’à 47mm de section en 700c, et jusqu’à 2,1″ de section en 650b (27,5″). En se dirigeant vers de grosses sections, même sur un châssis à la base typé performance comme celui-ci, on va pouvoir s’ouvrir de nouveaux horizons au niveau du confort et du grip, rien que par le choix adapté des pneumatiques. C’est donc une grande partie de la polyvalence de l’engin qui se joue à ce chapitre, afin de couvrir un large spectre de pratiques et de visions du gravel.

Pour bien décrire ce chapitre important, Specialized met en avant un graphique intéressant qui met en relation le poids du cadre par rapport au dégagement qu’il offre pour les pneus. Et force est de constater que le nouveau Crux se positionne très bien sur ce critère.

Une géométrie au goût du jour

La géométrie du nouveau Specialized Cruz a aussi été retravaillée, avec un reach 10mm plus long que sur la précédente version et un boîtier de pédalier plus bas (BB drop de 72mm), combiné à un cadre globalement plus bas avec un stack abaissé pour favoriser la liberté de mouvement sur le vélo.

Il est important de noter aussi que chaque taille de cadre a droit à un layup de carbone spécifique afin de garantir que le comportement soit identique entre un petit et un grand châssis. C’est ce que Specialized appelle le concept « Rider First Engeneered », afin de garantir que chaque pilote ait la même expérience quelle que soit sa taille. Un objectif qui ne peut être atteint en agrandissant simplement la taille de chaque pièce de carbone qui constitue le châssis, mais qui nécessite un travail spécifique sur chacune des six tailles au programme.

Une philosophie d’équipement en rapport

Au rang des petits détails et de l’équipement, le nouveau Crux est équipé d’une tige de selle en diamètre 27.2mm qui joue aussi son rôle en matière de filtration des vibrations et qui peut être, si on le souhaite, remplacée par un modèle télescopique (sans fil ou câblerie interne). Si tous les modèles de série sont montés en mono-plateau avec une transmission Sram XPLR, il est aussi compatible avec un pédalier double et il permet le montage d’un dérailleur avant. Attention, en double plateau, seules les transmissions électroniques sont possibles car il n’y a pas de passage pour un câble à ce niveau. Le boîtier de pédalier est fileté pour plus de facilité à l’atelier et de fiabilité. Par contre, la patte de dérailleur est spécifique et n’est pas (encore ?) au standard UDH (patte « universelle »).

Au niveau des composants, on note la présence d’un nouveau cintre Terra avec un reach assez court (il est peu profond, donc) et un drop réduit, le tout avec un angle de 12° qui apporte plus de confort au niveau des poignets. Puis, dans la famille Terra, on retrouve aussi bien entendu les roues avec trois modèles, tous en 25mm de largeur interne pour leurs jantes en carbone : les CLX du S-Works qui sont le tout haut de gamme avec des moyeux spécifiques, les jantes les plus légères et des rayons plats DT Aerolite pour 1296g ; les CL qui sont équipées de moyeux DT350 et de rayons ronds pour 1410g, et enfin les Terra C qui ont des moyeux DT370 pour 1600g.

Poids, prix et versions

Le nouveau Specialized Crux est proposé dans quatre montages (de gauche à droite), avec un ticket d’entrée qui est fixé à 4000€ pour le modèle Comp monté en Sram Rival mécanique et roues DT alu. Il est annoncé à 8,5kg. Vient ensuite l’Expert, affiché à 6000€ pour 8,1kg, sur lequel on passe en Sram Rival XPLR AXS électronique sans fil et roues carbone Roval Terra C. Le Pro, à 8000€ pour 7,6kg, passe en Sram Force XPLR AXS, a des composants plus haut de gamme et des roues Roval Terra CL. Enfin, le S-Works dispose d’un cadre plus léger, d’un groupe Sram Red, de roues Roval Terra CLX aux jantes spécifiques et de tout ce qui se fait de mieux pour… 12200€ et 7,25kg. On est donc clairement sur un vélo haut de gamme, qui se destine à un public prêt à investir beaucoup pour sa passion.

Le Crux est aussi disponible en kit cadre, à 3000€ pour la version Fact 10R qui équipe les modèles Comp, Expert et Pro, et à 4500€ pour le très exclusif S-Works.

Specialized Crux : le test terrain

C’est dans la magnifique forêt de Soignes, autour de Bruxelles, que nous avons été conviés pour découvrir ce nouveau Specialized Crux. Une fois n’est pas coutume, c’est en compagnie de journalistes issus de titres « route » que nous sommes entourés ! Eh oui, c’est un des charmes du gravel : brouiller les frontières jusque-là assez étanches entre les univers de la route et du VTT, ce qui permet de rencontrer de nouvelles têtes et de découvrir autrement des régions finalement pas si éloignées de nos terrains de jeux habituels.

Pour nous guider, deux « régionaux de l’étape », Renaud Palate, ambassadeur Specialized basé à Bruxelles (en bleu), et Billy Ceusters, responsable des gammes route et gravel pour Specialized France, mais qui est également originaire de la région. A deux, ils nous ont concocté un joli petit programme avec un peu plus de 150km dans la magnifique forêt de Soignes qui place la capitale belge dans un écrin de verdure.

On la décrit souvent comme une « forêt cathédrale » de par la grâce des grands hêtres multi-centenaires qui la composent et qui s’élancent vers le ciel à la manière des colonnes des plus grands édifices religieux.

Ne cherchez pas ici plein de petits singletracks techniques, il n’y en a pas vraiment. Ou plutôt, il n’y en a plus vraiment. La plupart ont été fermés par les gestionnaires de la forêt ou sont réservés aux piétons. On peut discuter longuement de la pertinence de telles mesures, mais à défaut d’être encore un lieu adapté à la pratique du VTT, la forêt de Soignes est par contre un authentique paradis pour le gravel. D’autant que, même si certaines parties sont logiquement fort fréquentées (on est tout de même juste à côté d’une ville de plus d’un million d’habitants), elle est bien assez grande pour y trouver facilement des coins déserts où on peut s’amuser sans arrière-pensée.

Il y a aussi un grand nombre de très beaux passages atypiques, au pied d’un château, sur un ancien hippodrome, près du musée de l’Afrique Centrale ou autour de pièces d’eau qui viennent apporter un peu de variété au milieu de cet écrin de verdure.

Et ce fameux Specialized Cruz, me direz-vous ? Tout d’abord, précisons que c’est la version Expert, située en milieu de gamme, que nous avons eu l’occasion d’essayer. Ne vous laissez pas influencer par le coloris du cadre, qui est celui du Comp, c’est bien un montage en tous points conforme à l’Expert que nous avons roulé. On retrouve donc le nouveau et très agréable groupe Sram Rival XPLR AXS, ainsi que les roues Roval Terra C avec moyeux DT370 et surtout leurs jantes carbone en 25mm de largeur interne. Quant aux pneus, il s’agit des Specialized Pathfinder en 42mm de largeur, dont la bande de roulement centrale lisse est bien adaptée aux parcours roulants que nous allons rencontrer ici.

Pas de dénivelé impressionnant au programme, mais pas contre, il y a beaucoup de petits coups de cul dans le coin et pas mal de faux plats aussi. Assez vite, on se rend compte que l’impression de légèreté dégagée par le Crux est assez bluffante. Il explose entre les jambes à l’accélération, il pousse au crime dans chaque grimpette et sa mise en vitesse est assez fulgurante. Notre version pèse exactement 8,49kg en taille 54 avec pédales XTR et deux porte-bidons, ce qui n’en fait pas la version la plus légère, mais le constat est là : ça envoie ! On se demande d’ailleurs ce que le S-Works doit donner avec quasi 1kg de moins.

Sur le plat, même s’il n’est pas du tout pensé comme un vélo de route aéro fait pour avaler à haute vitesse les portions roulante en fendant l’air sans créer de turbulences, force est de constater que ça défile vite et bien aussi. Mais surtout, dans un très grand confort. La capacité de filtration des petites vibrations par le cadre compte parmi ce qui se fait de mieux dans les gravel que nous avons essayé. Il faudrait mettre le Crux directement face au Diverge (c’est prévu !) pour en avoir le cœur net, mais sur les petits impacts, il nous semble même encore plus raffiné et plus subtil que son grand frère. Et pourtant, nous avons des pneus de section finalement très classique et pas vraiment imposante (42mm sur nos vélos de test alors que le Crux accepte jusqu’à 47mm).

Par contre, dans les quelques portions plus techniques et « VTT » ou quand on fait un peu le fou, on sent bien les différences de comportement avec un Diverge. Quand on commence à rencontrer quelques gros obstacles, le Cruz demande beaucoup d’attention et de maîtrise. Ça passe, mais ça secoue et il faut vraiment bien tenir l’engin, quand un Diverge sera beaucoup plus tolérant et stable, de par sa conception mais aussi de par la présence de la petite suspension sous le poste de pilotage.

Au niveau du grip de la roue arrière, cette véritable subtilité du cadre fait aussi merveille et nous n’avons jamais noté de ruades de l’arrière du vélo ou de dérobades de la roue. La puissance passe parfaitement en toutes circonstances, ce qui est un facteur important de performances. Cela se ressent aussi sur les pavés ou sur les routes en mauvais état : on peut y aller et appuyer sans trop réfléchir, la puissance va passer au sol et le pilote ne sera pas non plus essoré, ce qui va permettre de rester performant plus facilement et plus longtemps.

Là où on retrouve bien le côté cyclocross du Crux, c’est dans les changements de direction vifs et les quelques sections plus étroites (oui, on a quand même trouvé quelques singletracks autorisés pour les vélos). Il se manie avec une très grande facilité et il procure beaucoup de plaisir car pour peu que le relief au sol ne soit pas trop tourmenté, il répond au doigt et à l’œil. Et on retrouve une fois de plus sa capacité très agréable de rendre la vitesse et la performance accessibles, presque faciles.

En fin de journée, quand on est bien rincé et que les jambes ne répondent plus comme en début de sortie, il est aussi intéressant de voir comment se comporte la machine à plus faible allure. Et là aussi, bonne surprise : la bête fougueuse sait également se montrer conciliante à basse vitesse et on profite toujours bien de ses qualités de confort et de filtration même sans aller très vite. Ouf ! Et sa légèreté aide aussi à rendre les ascensions moins pénibles même quand les watts se font rares…

Après avoir rangé notre Crux au garage pour offrir un peu de repos à nos gambettes bien fatiguées par ce bon gros poussage de pédale un peu différent des efforts VTT auxquels nous sommes habitués, nous avons pris la direction d’Overijse, petite ville voisine qui accueille la coupe du monde de cyclocross, histoire de voir ce même vélo en action entre les cuisses de quelques-uns et quelques-unes des meilleurs cyclocrosseur et cyclocrosseuses du monde. Et comme un résultat vaut souvent mieux qu’un long discours, sachez que la course Elite Dames a été remportée par la jeune Hongroise Kata Blanka Vas… au guidon du nouveau Crux. Ce qui tend à montrer que, même si nous ne l’avons pas essayé dans ce programme (et notre avis n’aurait sans doute pas eu grande valeur car nous n’avons vraiment pas beaucoup d’expérience en la matière), il semble plutôt très bien s’y comporter aussi !

Verdict

Le nouveau Specialized Crux est un vélo fait pour les esthètes adeptes de performance. A ses lignes épurées correspondent un comportement lui aussi très pur, avec des sensations brutes mais jamais brutales. C’est sans doute cela une de ses plus grandes forces : mettre le pilote au contact direct du terrain, lui offrir tous les ingrédients pour vivre sa sortie à fond, tout en apportant ce zeste de confort et de facilité pour que le plaisir et ces sensations authentiques soient accessibles. Une belle réussite, qui complète bien l’offre gravel de la marque aux côtés du Diverge, et qui aide à faire une transition sans rupture entre les univers de la route et du VTT.

Plus d’infos : https://www.specialized.com/be/fr/shop/bikes/road-bikes/adventure–gravel-bikes/crux/c/crux
Photos : Alex Broadway et Billy Ceusters

ParOlivier Béart