Le Nationalpark Bike-Tour en Engadine : la Suisse super-naturelle

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Le Nationalpark Bike-Tour en Engadine : la Suisse super-naturelle

Aux confins de la Suisse et de l’Italie, il existe une région où bat le cœur des cyclistes : celle de la vallée de l’Engadine, située dans le canton des Grisons. Sur ce territoire, le parc national suisse fait force de loi pour la préservation de la nature. Tandis que de l’autre côté de la frontière, en Italie, les montagnes enserrent le village de Livigno, l’un des berceaux du VTT et proche des cols mythiques du Giro. Vojo est allé pousser sa curiosité à l’est des Alpes en effectuant l’itinéraire du Nationalpark Bike-Tour.

Scuol, Zuoz ou Zernez… des noms improbables de la vallée de l’Engadine que nous, francophones, connaissons peu. Et pourtant, il s’agit du coeur de la Suisse éternelle où les montagnes, forcément belles, illuminent en toile de fond des paysages aptes à émouvoir n’importe quel cycliste.

Le doyen des parcs nationaux

Situé en Engadine et dans le Val Müstair, le parc national suisse, créé en 1914, est le plus ancien des Alpes. Ses fondateurs ont voulu préserver une partie du pays afin que la nature puisse se développer sans entrave et évoluer librement. Depuis plus d’un siècle, l’homme n’est que le témoin de son évolution. La faune comme la flore règnent en maître sur plus de 170 kilomètres carrés, apportant l’assurance à la région d’une protection absolue. Le parc est un fameux label pour les Grisons : l’infrastructure touristique va de pair. Il n’existe pas de campings anarchiques ou d’hôtels disgracieux qui pourraient balafrer le paysage.

Si le cœur du parc est interdit aux VTT, l’Office du Tourisme de la Suisse (Swiss Tourism) a créé un itinéraire balisé en boucle qui permet de longer cet eldorado naturel, le Nationalpark Bike-Tour. A Scuol, les grands hôtels de luxe côtoient les maisons décorées de bas-reliefs et de couleurs chatoyantes. Ce village de l’Engadine se veut charmant et attire nombre de vététistes venus affronter cet itinéraire long de 140 km.

Pour notre périple, l’incertitude demeure. En regardant les chemins dessinés sur les cartes et le tracé du parcours, il nous semble que ce tour du parc national suisse pourrait être un de ces itinéraires à effectuer en Gravel, un vélo où tout doit être encore inventé, voire expérimenté en montagne. Mais les passages des cols à plus de 2700m nous imposent la prudence. Notre choix est fait : à Vincent son vélo de trail, à moi un Origine Théorème semi-rigide prêté par la rédaction et taillé pour des circuits rapides et exigeants physiquement. En prenant la précaution de le doter d’une tige de selle télescopique, il sera apte à me porter vers l’altitude.

Un petit bout de Suisse

A quelques kilomètres au nord de Scuol, le Clemgina dévale contre le flanc de la montagne et coule, profond et limpide. Il œuvre depuis l’aube de la terre sur son lent de travail d’érosion. Aux pierres sèches et aux cailloux noirs des moraines s’ajoute dans l’ascension la poussière qui assèche les chaînes des vélos et nos gorges. La montagne en cet été 2022 souffre autant que les basses plaines. La route carrossable se poursuit inlassablement et fait fi des difficultés du terrain. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées en Suisse n’en sont pas à leur premier tunnel ! Les suspensions bloquées, nous grimpons pour atteindre ce petit bout de Suisse qu’est le hameau de S-Charl. S’il est devenu de nos jours une halte bienveillante pour tous les randonneurs, à l’époque, les paysans de la vallée montaient dans le hameau pour y établir leur quartier d’été et vivre durant les mois de fenaison.

Le versant ensoleillé du Val Müstair

Sur le chemin bien large, on en regretterait nos vélos de gravel. Mais un semi-rigide léger s’en sort pas mal aussi pour m’emmener vers l’Alp Astras qui est l’une de ces cabanes suisses où l’on peut prendre un verre et s’alimenter.

Aux abords, les vaches paissent en liberté au beau milieu des vélos disséminés dans l’alpage. Le chemin se mue enfin en un joli single trail, sans difficulté technique majeure mais particulièrement plaisant. Là, rouler sur un VTT prend tout son sens. Si Vincent retrouve ses réflexes d’enduriste et cherche les parties les plus chaotiques, de mon côté, je me contente d’emprunter la trace la plus rapide et la plus aisée. A tel point que le col de Costainas, situé à 2251 m, est traversé sans que l’on s’en aperçoive.

En basculant vers l’autre versant, nous voici dans le Val Müstair : le contraste est saisissant. A l’horizon, on aperçoit une montagne hostile, faite de pics en grès et, à nos pieds, une montagne humanisées et riante où les villages s’intègrent parfaitement à l’environnement.

La descente est rapide, elle traverse une forêt de conifères avant d’émerger sur le flanc ensoleillé de l’Alp Champatsch. Au hameau de Lü, il est temps de prendre ce petit café qui annonce une Italie qui se rapproche de nos roues.

La descente vers le village de Tschierv est une autre partie de plaisir : les virages en épingles nous mènent vers les prés où la fenaison a débuté. Les hautes montagnes enserrent ces villages du Val Müstair : nous roulons dans un havre de paix qui nous met à l’abri de la fureur du monde. Dans Santa Maria, le style architectural est mâtiné d’une touche lombarde. Une belle étape où nous allons pouvoir récupérer des efforts consentis lors de cette journée caniculaire.

Passage en Italie

Le deuxième jour, il va falloir grimper vers le Val Vau. La basse vallée offre la protection et la fraîcheur espérées pour une longue ascension. Et elle s’effectue toute « à la pédale ».

Le pourcentage constant et le chemin carrossable permettent de grimper au train et d’atteindre les 2230m d’altitude au col Dös Radond.

Du col, se dévoile face à nos roues un immense plateau d’altitude où galopent des chevaux sauvages. Je rêve de paysages de Mongolie et ce décor inattendu l’assouvit quelque peu…

Les kilomètres défient vite sur le long chemin. A la fin du plateau, il devient plus étroit et s’engage dans une moraine, ces grands amas de débris de roche entraînés par un glacier. Caillasse et éboulis se succèdent dans le pierrier. Mais la trace reste accessible et nous parvenons à rester sur le vélo tout du long. Bien préparée et nettoyée de toute aspérité, elle nous évite de mordre la poussière.

Au pied, la large vallée di Fraéle ouvre en grand ses bras. Nous nous y engouffrons et… perdons le balisage. Nous sommes en Italie et l’exigence suisse des balises se mue ici en de simples poteaux en bois pour indiquer les direction. Ce qui a son charme ! Il suffit juste de bien lire la carte et le terrain pour s’y retrouver, et d’accepter de parfois s’arrêter quelques minutes pour lire les indications.

Sur les rives du lac San Giacomo di Fraéle, un foodtruck est installé là et attend les randonneurs. Cette incongruité dans le paysage nous fait sourire et rassemble tout ce que l’Italie a de plus gai.

L’Alpisella domine le lac : ce petit col est une des ouvertures à cette région enclavée qu’est Livigno. Les montagnes que nous rejoignons à l’approche du village lombard sont contrastées avec leurs versants tantôt très verts, tantôt plus rocailleux. Les forêts se perdent à l’infini sur ces flancs extrêmement pentus. Nous roulons sur un chemin superbement tracé, sans aspérité aucune mais qui a la bonne idée d’être sinueux afin qu’on ne s’y ennuie pas.

Point de racines, points de cailloux : on s’y jette avec plaisir, mais gare à la prise de vitesse qui pourrait devenir effrayante par endroits. A 1800 mètres d’altitude, le haut plateau de Livigno et sa grande largeur est souvent comparé à celui du Tibet.

Zone franche

Livigno bénéficie de sa zone franche exempte de taxes. Son enclavement est à l’origine de cet avantage fiscal. Longtemps, le village était isolé du monde durant les hivers. Sans cet attrait fiscal, la population historiquement pauvre et coupée du monde durant six mois aurait déserté les lieux depuis belle lurette ! Et sans habitants, difficile pour l’Italie de prétendre à une quelconque souveraineté sur ce territoire. Cette incongruité existe encore de nos jours, sous le regard bienveillant de l’Europe. Au milieu des magasins free-tax et des pompes à essence à bas prix, un grand nombre de maisons traditionnelles en pierre et en bois a tout de même été conservé.

L’ouverture en hiver du col de Foscagno dans les années 1950 a désenclavé le village : ainsi naquit le sport d’hiver dans la région. En 2005, l’organisation des Championnats du Monde de VTT a apporté la notoriété au village qui ne s’est jamais démentie depuis. Les hôtels se sont adaptés à l’accueil des cyclistes, mettant à l’honneur notre sport. Dans cette région des Alpes, les vététistes et cyclistes sur route semblent plus nombreux que les randonneurs pédestres. Le village est l’une des destinations privilégiée des coureurs pro : les cols de légende du Stelvio, du Mortirollo ou de Gaia se situent à un jet de pierres. Livigno dispose de nos jours de trois bike park bien distincts, connus mondialement, grâce notamment à Fabio Wibmer. Nous poussons notre curiosité en nous octroyant une demi-journée pour rouler sur les pistes de Mottolino où les bikers envoient du lourd.

Au troisième jour, dans le Val Federia, nous retrouvons toute l’Italie en balade, bon enfant. Les VTT électriques de location côtoient les poussettes. Ici, on se promène en famille. Le chemin, à vrai dire, est magnifique et facile d’accès. Il permet de rejoindre l’ambiance de la haute montagne sans grande difficulté.

Mais heureusement, il n’y a pas que cela. Quand nous quittons le chemin principal, un autre à droite grimpe en lacets. Là, pour la première fois lors de ce Nationalpark Bike-Tour, nous mettons pied à terre. Le pourcentage s’envole et devons pousser les machines jusqu’au col de Chaschauna à la frontière suisse qui flirte avec les 2690 m d’altitude.

Au sommet, quelle découverte que de voir un aussi beau single trail serpentant dans la pente. Sculpté par la main de l’homme, il est la représentation même du « flow » si cher aux vététistes allemands ou autrichiens.

La descente traverse de magnifiques alpages, longe des torrents et rejoint les forêts d’aroles.

Le Nationalpark Bike-Tour se termine en traversant cette région qui fourmille de petites routes et de pistes carrossables à travers les villages pittoresques de l’Engadine.

Tout au long de ces trois jours, le Nationalpark Bike-Tour nous aura menés vers des montagnes authentiquement préservées en toile de fond et tout juste légèrement humanisées sur les chemins rencontrés. En Engadine, l’élevage et l’agriculture s’intègrent aussi en note harmonieuse dans le paysage. Et le vélo demeure sans conteste le meilleur moyen de découvrir ce joyau.

Infos pratiques

  • Le Nationalpark Bike-Tour, s’il a été tracé à son époque pour le VTT, est de nos jours plus adapté au Gravel mis à part quelques sections assez courtes. Venir avec son VTT de trail ou d’enduro n’a pas de raison d’être. Par contre cet itinéraire pourrait être le graal pour tout « graveliste » amateur d’altitude : il est rare de pouvoir grimper aussi haut et de rouler sur des chemins aussi bien entretenus !
  • Le Nationalpark Bike-Tour est balisé du numéro 444 sur le terrain. Nous vous convions à suivre la trace GPX, téléchargeable sur la page de l’office du Tourisme du canton des Grisons : https://maps.graubuenden.ch/de/tour/mountainbikerouten/444-nationalpark-bike-marathon/6928063/
  • Infos générales en français : www.myswitzerland.com/fr-be/

ParPierre Pauquay