Interviews | Sram Eagle AXS 2023 : dans les coulisses du développement - Matt von Heeg, ingénieur conception pour les dérailleurs & Jesse Parker, ingénieur essais

Par Léo Kervran -

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Interviews | Sram Eagle AXS 2023 : dans les coulisses du développement - Matt von Heeg, ingénieur conception pour les dérailleurs & Jesse Parker, ingénieur essais

Lorsqu’on est allé chez Sram en Allemagne pour en apprendre plus sur la nouvelle transmission, on a vu beaucoup de choses intéressantes mais on a aussi passé un certain temps à discuter avec les équipes qui ont fait naître et accompagné ce projet, parfois depuis ses débuts ou presque. Vous avez pu découvrir des extraits de ces interviews dans notre article principal ou dans la vidéo mais cela gardait un goût de trop-peu, on avait envie de vous faire profiter de tout ce qu’on ce qu’on a pu découvrir. Voici donc la transcription complète des interviews avec Frank, l’ingénieur en chef, Andreas, le chef produit, Jochen, le designer, Matthias, l’ingénieur dérailleurs et Jesse, l’ingénieur essais :

Matthias von Heeg, ingénieur conception pour les dérailleurs

Bonjour Matthias ! Pour commencer, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Matt von Heeg, je suis ingénieur conception pour les dérailleurs et je suis l’un des cinq ingénieurs qui ont travaillé sur ce nouveau dérailleur.

Peux-tu expliquer un peu ce qui rend ce dérailleur plus robuste que ce que nous connaissons aujourd’hui ?

Je pense que le plus évident, c’est que nous avons supprimé la patte de dérailleur, donc nous avons maintenant une conception Full Mount, avec deux « poutres » qui fixent le dérailleur au cadre. Cela assure qu’à chaque fois qu’on heurte quelque chose, plus rien ne plie ou ne casse et on a juste la meilleure performance qui soit sur toute la durée de vie du dérailleur. C’est la chose la plus importante, sans aucun doute.

Ensuite, nous avons conçu le dérailleur de manière à pouvoir le séparer en plusieurs parties, vous avez la cage, vous avez le système de parallélogramme qui est la partie la plus robuste. Si vous cassez quelque chose ce sera probablement la cage et vous pourrez simplement la changer, elle sera disponible en pièce de rechange.

Nous avons aussi affiné le design et au total, nous sommes maintenant 8 ou 9 mm plus à l’intérieur ce qui nous permet de « rentrer » un peu sous le cadre et de rendre le dérailleur plus difficile à toucher.

Penses-tu que c’est ce que vous pouvez faire de mieux en termes de robustesse du dérailleur ? Ou existe-t-il encore des possibilités d’amélioration pour l’avenir ?

En tant qu’ingénieur on recherche toujours la perfection mais je pense qu’on sait tous que la perfection n’est pas possible dans le monde donc, bien sûr, il y a toujours moyen de faire mieux. Je pense que nous en sommes très proches maintenant, nous avons abordé quelques points qui posaient vraiment problème sur le marché, mais pour tout ce que vous pouvez voir dans le monde, il y a toujours des améliorations possibles et il y aura une nouvelle version dans quelques années, nous voulons toujours améliorer et devenir meilleurs.

En parlant de robustesse, l’idée même d’un dérailleur n’est-elle pas un problème ? Cela reste une pièce assez grosse, exposée et à l’arrière du vélo donc on ne la voit pas. Une boîte de vitesse ne serait pas plus solide ?

Oui, tu as raison. Le problème auquel nous sommes confrontés, que les dérailleurs se cassent, c’est dû au simple fait que le dérailleur est à cet endroit. Mais c’est plus une question générale sur la transmission… Le système actuel de transmission avec un mécanisme de changement de vitesse à l’arrière présente de nombreux avantages comme l’efficacité, le contrôle du changement de vitesse et tout le reste, alors que les boîtes de vitesses ont d’autres avantages. En fin de compte, c’est une décision concernant la transmission, pas seulement un dérailleur. Je ne sais pas ce qui se passera dans 10 ans, on verra, mais pour l’instant le dérailleur reste la meilleure solution.

Et sur un sujet plus général, cette nouvelle transmission semble avoir des avantages à l’installation, au niveau de la solidité ou de la rapidité notamment en pleine charge, mais au final, penses-tu vraiment que tout le monde en a besoin ?

On développe des biens de consommation donc on veut avoir le meilleur sur le marché pour toutes celles et ceux qui veulent rouler avec ce qui se fait de mieux. Personnellement, j’ai roulé avec cette transmission pendant trois ans, à toutes les étapes du développement depuis le tout début, et je ne veux vraiment pas revenir au système actuel. Absolument pas.

Si vous en avez besoin ou pas, c’est à vous de décider, mais ce système est bien meilleur (rires). Et une fois que vous l’avez essayé, vous ne voulez plus revenir en arrière.

Jesse Parker, ingénieur essais

Bonjour Jesse ! Pour commencer, peux-tu te présenter ?

Je suis Jesse, j’étais ingénieur d’essai chez Sram à Colorado Spring pendant 8 ans et je suis en Allemagne depuis 3 ans maintenant. J’ai commencé par travailler sur les cassettes puis je suis passé au système complet il y a un peu plus d’un an. J’ai donc participé à ce projet depuis le début.

À quel moment commences-tu à travailler sur ces nouveautés ? Lorsque Sram développe une nouvelle transmission, les ingénieurs et les designers doivent d’abord avancer un peu, construire des prototypes avant de te les amener.

Ça dépend de l’ampleur du projet. Ici c’est d’une telle ampleur, avec une nouvelle interface, un tout nouveau dérailleur, un tout nouveau design… Pour moi ça a duré trois ans, et c’est à ce moment-là que nous commencé à avoir des groupes complets que nous pouvions utiliser. Certaines personnes ont commencé bien plus tôt que cela, avec des développements plus petits et des choses comme ça, mais oui, pour moi, c’était il y a environ trois ans.

Pour remettre les choses dans leur contexte, quand le projet a-t-il démarré chez Sram ?

Le projet a commencé avec l’équipe de développement avancé et ça date de bien avant… Il y a 6 ou 7 ans, il y avait déjà des rumeurs au Colorado sur quelque chose qui se tramait en Allemagne. Ça fait donc un certain temps.

Et quand vous avez commencé à travailler sur ce projet, est-ce que vous avez débuté sur d’anciens dérailleurs, peut-être pour trouver de nouvelles idées ou pour voir ce que vous pouviez améliorer ? Ou avez-vous commencé par le nouveau ?

On a commencé avec la nouvelle fixation [Full Mount], et comme souvent avec les dérailleurs prototypes, beaucoup de pièces usinées ou imprimées en 3D. On ne voulait pas vraiment commencer les tests avec un half mount ou une patte de dérailleur ordinaire parce qu’on savait que ça allait affecter les résultats des tests et on ne voulait pas être envoyés dans la mauvaise direction à cause de quelque chose qui allait de toute façon changer plus tard. En général on n’a pas autant d’échantillons au début, mais il faut qu’ils soient aussi proches que possible de là où tu veux arriver.

Si on avance maintenant sur les tests que tu mènes ici, quelles sont les principales différences que tu as constatées ici au laboratoire entre ce nouveau groupe et l’ancien ?

La douceur des changements de vitesse. En particulier pour les changements de vitesse à la descente, à quel point ils sont silencieux et contrôlés, c’est une différence spectaculaire. A la fois dans les données de la machine et aussi simplement en écoutant la transmission, en la regardant et en l’utilisant. La différence est énorme.

Le silence et la qualité des changements de vitesse, c’est vraiment quelque chose que l’on peut mesurer ici ?

Oui, oui. C’est facile à mesurer, ça devient difficile à quantifier quand c’est au niveau où c’est maintenant, c’est beaucoup plus difficile que quand c’était à un autre niveau et que les variations entre les changements de vitesse étaient plus grandes. Quand ça devient vraiment fin, c’est plus difficile de quantifier les améliorations incrémentales à la toute fin du projet. Mais au début, avec toutes les méthodes dont nous disposions, il était assez facile de dire que les choses étaient à un tout autre niveau.

Donc ça n’a rien à voir avec l’ancien système. Mais est-ce que tu penses vraiment, pour tout le monde, qu’on a besoin d’une nouvelle transmission aujourd’hui ?

Tout le monde aime avoir du neuf mais je pense que si on voit de plus en plus cette nouvelle transmission, les gens n’auront plus autant besoin de nouveautés parce que c’est tellement robuste et ça dure tellement plus longtemps. Je pense que les riders vont l’adorer, pour être honnête, mais je suis aussi quelqu’un qui n’aime pas acheter un tas de nouvelles choses et je ne veux pas donner l’impression que nous essayons toujours de pousser de nouvelles choses. Je dirais qu’on présente quelque chose qui est meilleur et on laisse les gens finir par l’adopter. Les pièces de vélo s’usent avec le temps, en particulier celles qui ont une patte de dérailleur, et je pense qu’au final, lorsqu’on achète une transmission comme celle-là et qu’on roule avec, on se rend compte qu’en fait, on aurait aimé l’avoir plus tôt.

Photos Rupert Fowler

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ParLéo Kervran

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