Finale Ligure : aux origines d’une destination mythique

Par Christophe Bortels -

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Finale Ligure : aux origines d’une destination mythique

C’est en 2013 que Finale Ligure a définitivement explosé sur la scène internationale avec la venue des Enduro World Series. Mais avant de devenir une destination mondialement connue, la ville italienne a lentement et patiemment construit sa renommée, façonnée par de véritables passionnés. Loin de se reposer sur ses lauriers, Finale vient même de franchir une nouvelle étape avec le lancement d’un consortium réunissant tous les acteurs de terrain et la mise en place d’un écosystème novateur. Retour sur une success story :

Des trails qui trouvent leur origine au paléolithique, une épreuve d’endurance décisive, des freeriders américains qui montrent la voie du flow, une base militaire américaine abandonnée, des trailbuilders diplomates : comme on va le voir, l’histoire du VTT à Finale Ligure est passionnante et jalonnée de moments phares !

Pour nous emmener dans ce voyage dans le temps, on peut difficilement trouver meilleur guide qu’Enrico Guala. Surnommé « le pape de l’enduro », il est surtout connu pour être l’un des quatres membres fondateurs des Enduro World Series. Mais le Gênois de 52 ans, qui a découvert Finale Ligure en 1994, a plus d’une corde à son arc. Ancien champion de VTT trial, mécano puis propriétaire d’un magasin et désormais distributeur de marques prestigieuses pour l’Italie, il est aussi l’un des hommes derrière le SuperEnduro – la série italienne d’enduro – et surtout les 24h de Finale, course d’endurance VTT mythique créée en 1999.

C’est d’ailleurs là, sur le superbe plateau du Manie surplombant la mer et où se disputent depuis plus de 20 ans les célèbres 24h de Finale, que se sont écrites certaines des premières pages de l’histoire du VTT à Finale. La beauté de la région, le climat, la nature et la présence de nombreuses cavernes avaient déjà séduit les nomades du paléolithique qui, au fil de leurs pérégrinations, ont créé un large réseau de sentiers… terrain de jeu idéal pour les vététistes quelques dizaines de milliers d’années plus tard ! Dans les années 80 et 90, il n’est pas encore question de « shaper », uniquement de profiter de ce qui existait déjà. « Je venais ici avec ma copine, de Gênes, parce qu’il y avait des chemins pour faire du VTT », explique Enrico Guala. « C’est seulement plus tard que j’ai découvert que ces chemins, routes et connexions dont nous avons hérité étaient le résultat des 32.000 ans d’histoire de cet endroit ! »

24h qui changent tout

Pour Finale, tout bascule véritablement en octobre 1999. Après avoir organisé deux ans plus tôt une épreuve internationale de XC et compris qu’il ne s’agit pas du bon public, « uniquement focus sur la course et puis on repart », le patron d’Enrico revient des 24h de Moab (USA) et décide d’organiser la même chose à Finale, le format étant jugé nettement plus convivial que le XC. Car l’idée est avant tout de promouvoir la région et ses atouts grâce à des évènements, et de faire revenir les gens plus tard, en dehors de la course. Mais Enrico et sa bande voient les choses en un peu plus grand encore…

Le même week-end, ils organisent donc les 24h de Finale – 672 participants par équipes de 4, 8 et 12, « ce qui permet de s’amuser en dehors de la course et de découvrir le territoire » -, ils délocalisent pendant 3 mois le musée du VTT de Crested Butte, et intronisent au très américain Mountain Bike Hall of Fame plusieurs figures européennes de la discipline comme Tim Gould, Paola Pezzo, Thomas Frischknecht ou encore Hans Rey, mais aussi le Vélo Cross Club Parisien et ses précurseurs du VTT, actifs dans les années 50. Gary Fisher, Joe Breeze, Tom Ritchey, et bien d’autres : tout le milieu du VTT se retrouve donc le temps d’un week-end sur la riviera italienne ! Et Finale Ligure apparaît pour la première fois sur la carte du VTT mondial. « C’était énorme… », confie Enrico Guala.

De Kranked 2 à Nato Base

Mais il n’y a pas que les crosseux qui ont fait le déplacement. Des freeriders comme Wade Simmons et Brett Tippie sont du voyage et tournent même un segment de Kranked 2 sur place. « Ils nous ont montré une nouvelle manière de piloter un VTT. On s’est dit que ce qu’on avait c’était déjà bien, mais qu’il fallait aussi chercher le flow », explique Enrico. « Certains ont donc commencé à explorer d’autres endroits du territoire, et c’est comme ça que Fulvio Balbi, le trailbuilder qui a « fait » Finale, a découvert Nato Base. » Il faut dire que la chance de la région de Finale Ligure, c’est de disposer de sommets de parfois plus de 1000 mètres de haut à quelques kilomètres seulement de la côte. C’est sur l’un d’eux que se trouve la désormais célèbre Nato Base, une ancienne base militaire américaine à l’abandon depuis le début des années 90 et d’où partent à présent de nombreuses traces VTT très populaires.

Fulvio, le shapeur « originel », n’était pas de la région, mais il y est venu pour l’escalade et est tombé amoureux de l’endroit. Sa signature, y compris lorsqu’il s’agit des voies d’escalade qu’il crée, c’est le flow. « Il a ça dans le sang, et ça se ressent aussi dans ses traces VTT », confie Enrico Guala. C’est ce qui explique que son choix se soit porté sur les secteurs plus hauts, plus dans les terres, au lieu de ceux un peu plus âpres et rocheux du bord de mer. Mais comment s’est-il retrouvé à shaper des traces dans un endroit aussi isolé ? « Fulvio faisait de l’escalade, du VTT, mais aussi du rallye à l’époque. Des amis sont allés le voir sur une spéciale de rallye qui montait à la Nato Base, et pour gagner du temps, ils ont pris un chemin. Après la course, en retrouvant Fulvio, ils lui confient : « On a pris un chemin que tu devrais sans doute aimer pour le VTT ! » Il va voir, et c’était la trace qu’on appelle désormais « H »… »

C’est le début du shapage sur le secteur de l’ancienne base, puis sur bien d’autres, où œuvrent de plus en plus de trailbuilders. Et dans cette démarche, l’important, c’est avant tout la lecture du terrain et de ses spécificités. Car ici, il n’est pas question d’utiliser des machines pour shaper. Tout est fait à la main, avec de petits outils, raison de plus pour exploiter au maximum les courbes de niveau, les ondulations naturelles et le type de sol. Généralement, chaque trailbuilder a sa zone, son secteur de prédilection et même son style de shape. « D’ailleurs, maintenant, quand on trouve un nouvel endroit, on essaie de choisir le trailbuilder qui correspond au terrain », explique Enrico Guala.

Cohabiter avec les propriétaires et les chasseurs

Vient alors une question cruciale : quid des autorisations, de la légalité de ces traces créées en pleine nature, au milieu de nulle part ? « Si on avait dû suivre un processus d’autorisations officiel, ça aurait vraiment été très difficile », confie Enrico en toute franchise. « Les trailbuilders sont des personnes très connectées avec le territoire et les personnes qui sont propriétaires des terres. Avec de la diplomatie – et quelques bouteilles de vin -, ils ont obtenu le droit de passage sur ces terrains pour la plupart privés. »

Particularité supplémentaire : après 10 ans d’existence, si elle n’a pas été contestée, une trace voit son droit de passage devenir permanent et d’« intérêt public », et ce alors qu’elle appartient toujours au propriétaire du terrain. La question reste bien entendu toujours un peu délicate, et il arrive parfois qu’un sentier qu’on pensait se trouver sur les terres d’untel appartienne en réalité à quelqu’un d’autre. « Au final, ce qui est important, c’est que l’outdoor constitue une grosse économie, et les gens acceptent donc de plus en plus facilement qu’on utilise le territoire pour l’économie locale, parce que dans une famille il y a toujours quelqu’un qui en bénéficie », poursuit Enrico Guala.

Il faut dire que selon les estimations, les activités outdoor – VTT, escalade, etc – représentent entre 30 et 40% de l’économie du territoire, bien aidées par le fait qu’elles peuvent se dérouler quasi toute l’année et complètent donc parfaitement les chauds mois d’été de la station balnéaire italienne. Difficile dès lors pour les autorités de s’opposer au développement de l’offre VTT ! C’est également avec les chasseurs que la cohabitation doit se faire. « On a dit « Ecoutez, les chasseurs, on travaille ensemble » », explique Enrico Guala. « Quand on entretient les chemins, vous nous dites ce dont vous avez besoin, on vous dit ce dont on a besoin. Et quand c’est la saison de la chasse, vous nous dites où vous allez chasser et nous on ne roule pas là-bas. », et ça marche très bien ! » Les spéciales « interdites » sont ainsi annoncées via les canaux de diffusion officiels (réseaux sociaux, etc) la veille des jours de chasse, tout simplement. Le territoire étant vaste et comptant à ce jour plus de 150 traces officielles, il est toujours possible de se rabattre sur des secteurs où ça ne chasse pas. « En plus, on a créé certaines traces où on sait que les chasseurs ne vont jamais… »

Après le succès, la structuration

La venue des Enduro World Series à Finale Ligure à l’automne 2013 a définitivement scellé le destin de la ville italienne, sur laquelle se sont du jour au lendemain braqués tous les projecteurs. La voilà désormais parmi les destinations les plus prisées au monde par les vététistes, qui sont chaque année plus nombreux à venir goûter à cette Dolce Vita faite de trails de rêve, de plage, de glaces, de pâtes et de pizzas. Mais après plusieurs décennies de développement, « il était temps de structurer un peu tout ça, au niveau de l’entretien des trails mais aussi de la promotion de la destination – qui ne doit pas rester dans les mains des privés -, afin de rester compétitif sur le marché du tourisme outdoor  », explique Enrico Guala, également impliqué dans ces nouveaux développements.

C’est ainsi qu’est né récemment le consortium « Finale Outdoor Region », qui réunit sous une même bannière et dans une même structure les divers acteurs de terrain : municipalités, hôteliers, trailbuilders, guides, services de shuttle et divers commerces, etc. Avec comme objectifs principaux la protection du territoire ainsi qu’une communication coordonnée, et comme centre névralgique un « info point » – la Finale Outdoor Base – situé à Finalborgo et entouré de vastes espaces pour accueillir dans les meilleurs conditions possibles les bikers, guides et shuttles.

Finale Ligure mais pas seulement

Si « Finale » a été retenu dans le nom pour des questions évidentes d’image de marque et de popularité, c’est bien d’un territoire plus vaste que la simple commune de Finale Ligure dont il est question ici, et de nombreuses municipalités voisines ont rejoint l’aventure. En ce qui concerne l’offre de trails VTT, plusieurs secteurs sont en plein développement et comptent bien profiter de l’aura de Finale.

Mallare, relativement isolée dans les terres, propose par exemple un très joli réseau de trails plutôt récents, alors que Pietra Ligure, située sur la côte à 5 km à l’ouest de Finale, marche dans les pas de son illustre voisine : elle a organisé une manche des EWS en 2020 et compte sur ses collines peu faciles d’accès pour les shuttles afin de (notamment) séduire les e-bikers, par exemple grâce à des traces dédiées.

La FOR You Card, un pari audacieux et novateur

Outre le merchandising – T-shirts, gourdes, serviettes de bain, etc –, Finale Outdoor Region a également mis en place un système inédit pour financer le secteur outdoor, et qu’à terme il soit financièrement indépendant : la « FOR You Card » (FOR pour Finale Outdoor Region), une sorte de carte de fidélité à laquelle Enrico et ses acolytes pensaient depuis plus de 10 ans. Le principe en est à la fois simple et plutôt bien pensé. Le vététiste venant rouler à Finale est invité à acheter la carte en question, vendue 10€ et valable une année calendaire (la carte ayant été lancée en cours d’année 2021, elle est millésimée 2022 et sera donc valable toute l’année prochaine). L’investissement est d’emblée rentabilisé en grande partie puisqu’on reçoit la carte officielle des trails, d’une valeur de 7€, qui est mise à jour chaque année avec les nouvelles traces.

Ensuite, et c’est là que ça devient encore plus intéressant, pour chaque transaction effectuée dans un commerce partenaire (service de shuttle, guide, café, magasin, hébergement, etc), un petit pourcentage du montant est versé au consortium et sert entre autres à financer la création et l’entretien des traces. L’utilisateur, lui, cumule des points au fil de ses achats et peut ensuite bénéficier de coupons de réduction à utiliser dans certains commerces partenaires. Un QR code unique imprimé sur la carte permet d’accéder à son compte en ligne où toutes les transactions, les points et les coupons sont repris. Bref, tout le monde s’y retrouve ! Et la stratégie opérationnelle étant à présent centralisée, d’autres types de développements sont déjà amorcés, à commencer par l’aménagement de trails plus facile d’accès, adaptés aux débutants et aux roues plus petites des vélos d’enfants. Une offre gravel est également à l’étude, la pratique étant en plein boom et les chemins larges ne manquant pas dans le secteur.

Après plusieurs décennies de croissance, c’est donc désormais l’heure de la maturité pour le VTT à Finale Ligure. Avec son nouvel écosystème novateur, Finale Outdoor Region compte bien écrire le futur de Finale et sa région, et pourquoi pas inspirer d’autres destinations VTT dans le monde…

Site officiel : www.finaleoutdoor.com

ParChristophe Bortels