Découverte | Le Rwanda par Ludo May, Fred Horny et Dan Millner

Par Adrien Protano -

  • Nature

Découverte | Le Rwanda par Ludo May, Fred Horny et Dan Millner

En quelques années, le Rwanda a réussi à se positionner comme pays de cyclisme. Sur route, bien sûr (pour rappel, les championnats du monde 2025 auront lieu à Kigali), mais aussi à VTT. Nous vous avons déjà parlé du Rwandan Epic et nous vous avons déjà fait découvrir ce pays merveilleux où nous étions déjà partis en reportage, mais nous avions aussi envie de vous faire partager une autre vision : celle du photographe-aventurier Dan Millner, qui a accompagné Fred Horny et Ludo May au Pays des Mille Collines. 

L’éléphant se rapproche de nous ; trois mille kilos de prestance, marchant à grands pas sur une piste poussiéreuse vers notre jeep. Son attitude suggère que nous cédions le passage. Alors que Pelden démarre le moteur de la voiture, je me surprends à murmurer la réplique de Jeff Goldblum dans Jurassic Park : « Je dois aller plus vite, je dois aller plus vite ! » Tout ce qui manque à ce remake de Spielberg, c’est l’autocollant avertissant que « les objets dans le miroir sont plus proches qu’ils n’y paraissent ».

Je répète cette phrase cinq jours plus tard, lorsque je pédale sur un chemin de terre sinueux, entouré d’enfants qui courent et rigolent. Je murmure, ma voix étouffée par la chaleur ou l’épuisement – ou les deux, : « Je dois aller plus vite ». En réalité, je n’ai aucune chance d’échapper à cette foule à l’énergie débordante – et je ne devrais pas le vouloir : ils sont le Rwanda d’aujourd’hui et une grande partie de ce que nous sommes venus découvrir – c’est juste que j’aimerais avoir leur endurance. Mais je ne l’ai pas, pas aujourd’hui en tout cas. En quittant une vallée luxuriante étouffée par l’humidité, je n’ai plus d’énergie, alors je regarde ma roue avant et je me résigne.

Devant moi, je peux entendre une autre foule bouillonnante de jeunes qui se jettent sur les autres mzungos (« étrangers ») blancs, Ludo May et Fred Horny. Un grondement d’excitation monte à chaque wheelie des mzungos. Il semble que tout le monde, qu’importe l’endroit où il se trouve, aime les clowns.

Nous nous regroupons à temps pour descendre un sentier de terre rouge vif. Elle semble s’écouler de manière harmonieuse autour des bordures de champs vert émeraude, comme l’eau rouillée s’écoulant d’un vieux tuyau de fer rompu.

Quelques secondes après la descente, la chaleur, la sueur et l’atmosphère étouffante sont remplacées par un air rafraîchissant et le calme familier des virages – et, moins réjouissant, par un grondement de tonnerre lointain provenant d’une série de nuages couleur anthracite, signes avant-coureurs d’un orage dans l’après-midi. Comme nous l’avons déjà expérimenté, la pluie est prompte à transformer la poussière de rêve du Rwanda en pistes de toboggan glissantes et collantes pour les pneus. Nous courons pour nous abriter sous un ciel qui s’assombrit : le Rwanda n’est rien d’autre qu’un assaut sur les nerfs.

Ce bombardement sensoriel 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 provient de tous les aspects de la vie rwandaise – des foules enthousiastes que nous rencontrons sur les sentiers et des routes chaotiques avec ses camions polluants que nous croisons sur notre chemin.

Des paysages variés, et des vélos cargos chargés de bananes, de portes ou même de machines à coudre, ainsi que des safaris intenses avec des animaux sauvages. Je ne m’attendais à rien de tout cela, mais pour être honnête, je ne savais pas ce que je devais attendre du VTT dans ce petit pays d’Afrique centrale. Mon ignorance est peut-être pardonnable ; cherchez le mot VTT au Rwanda et vous trouverez probablement un récit de voyage sur le Congo-Nile Divide Trail (un itinéraire vélo au bord d’un lac, présenté comme l’offre de VTT du Rwanda, mêlant singletrack et gravel).

Ou vous verrez peut-être l’action caritative de Tom Ritchey en faveur du vélo cargo pour le transport du café par les producteurs rwandais au milieu des années 2000 – un projet passionnant qui a donné naissance à l’actuelle équipe nationale de cyclisme sur route du Rwanda. Les références au VTT sont rares, mais cherchez sur Google « Rwanda » et l’histoire sombre du pays vous submergera solennellement page après page.

Le tragique génocide de 1994 au Rwanda, dont les prémices remontent à l’occupation coloniale, a emporté une génération entière. Aujourd’hui, l’âge moyen au Rwanda n’est que de 19 ans, ce qui constitue une part de l’héritage d’un chapitre qui a laissé le pays sur la voie de l’autoguérison, et ailleurs les touristes cherchant à dépenser leurs dollars.

Vingt-six ans plus tard, le Rwanda est un pays paisible et sans danger, animé par un fort sentiment de fierté nationale, qui attire chaque année 1,5 million de touristes étrangers. La plupart de ces visiteurs viennent pour observer des lions ou des éléphants dans le parc national de l’Agakera, dans l’est du pays, ou encore des gorilles de montagne sur les flancs des volcans Virunga, une chaîne de pics abrupts de 14 000 pieds (4 200 mètres) qui chevauchent la frontière avec l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Les touristes ne viennent pas ici pour faire du vélo mais ils ratent quelque chose.

En regardant ces volcans Virunga, avec un seau me servant de douche à la main et des bières de la marque Virunga, je me tiens avec Ludo, Fred, Pelden Dorji et le guide VTT rwandais, Tyisenge Olivier, et je regarde les éclairs dessiner des formes coniques sur un ciel peint en violet.

Olivier, 30 ans, est originaire de Musanze, une ville animée d’hôtels aux vitres criardes, de cafés espresso et de galeries d’art, située à une heure au sud de notre spectacle d’éclairs. La ville est la porte d’entrée des touristes à la recherche de gorilles et, en tant que siège de l’Africa Rising Cycling Centre (le QG de l’équipe nationale de cyclisme), elle est le point de mire de tout ce qui concerne le vélo au Rwanda. Mais comme le VTT est surtout décrit localement comme des circuits de gravel, la soif d’Olivier pour le singletrack s’est, avoue-t-il, fraîchement éveillée par une mission de repérage pour trouver des sentiers appropriés pour notre périple. « Monsieur Dan, je veux juste faire du singletrack. Plus de gravel« , sourit-il. C’est une ambition qui devrait être facile à réaliser pour Olivier et sa société de guides Ntakibazo-tours.com : s’il y a une chose que le Rwanda possède en abondance, c’est le singletrack.

Mais les sentiers que nous parcourons au Rwanda sont bien plus qu’un simple terrain de jeu pour les touristes ; elles sont l’élément vital de ses villages ruraux. Jouant un rôle essentiel dans la vie quotidienne, l’entretien des sentiers est ici pris au sérieux.

En descendant du camp de trekking « Beyond-the-Gorillas-Experience« , situé au sommet du mont Kabuye (2640 m), nous descendons en lacets à travers des pierriers remplis de mousses, vers le village de Mushube, un tetris ocre de maisons en blocs de béton au milieu d’eucalyptus.

Juste après le village, une équipe d’une trentaine d’hommes manient pioches et pelles pour réparer la principale voie d’accès à leur village. Malgré les outils tranchants, beaucoup sont pieds nus. Ils lèvent les yeux et s’arrêtent lorsque nous approchons, souriant à la présence des mzungos, des vélos et des casques et à nos tentatives ambitieuses de grimper la piste raide et meuble vers eux.

« C’est l’umuganda« , dit Olivier, expliquant le travail communautaire obligatoire dans tout le pays qui occupe le dernier samedi matin de chaque mois. Olivier prend alors une pelle et aide à creuser. En quelques secondes, les outils ont remplacé les guidons dans tout mon groupe – pas le temps d’enlever les casques – et les sourires fusent. Et puis une chanson s’élève ; un chant mélodique d’esprit d’équipe en langue kinyarwanda, accompagné seulement du bruit de percussion des pelles contre les pierres.

L’Umuganda (qui signifie « s’unir dans un but commun ») est l’une des politiques introduites et appliquées par le gouvernement autoritaire rwandais pour aider à réunifier le pays après le génocide. « Ce n’était pas si populaire quand ça a commencé« , dit Olivier, quand je l’interroge sur ce service obligatoire. « Mais maintenant, les gens veulent le faire pour améliorer les choses« , ajoute-t-il, comme si l’enthousiasme avec lequel les villageois réparent la route endommagée par la tempête ne traduisait pas déjà un réel sens de la communauté et du travail d’équipe.

En descendant un sentier étroit, nous trouvons bientôt une autre équipe d’umuganda, qui remplace cette fois un pont emporté par les eaux de la tempête cinq mois plus tôt. De longues perches d’eucalyptus sont installées afin d’enjamber un ruisseau de cinq mètres de largeur qui a traversé le sentier. Nous traversons les troncs fraîchement placés, vélos sur les épaules, sous les acclamations des villageois tandis qu’une femme, qui s’avère être le chef du village, filme la manœuvre avec son téléphone. « Merci de nous rendre visite« , me dit-elle dans un anglais presque parfait, avec un large sourire.

Nous repartons de notre deuxième rencontre avec l’Umuganda en laissant les habitants enthousiastes (Ludo s’étant amusé avec quelques manuals et de hauts bunny-hops), et emportons avec nous une nouvelle reconnaissance des trails que nous parcourons.

L’Umuganda se manifeste par une variété d’actions communautaires à travers le pays, de la construction de maisons au ramassage des ordures (le Rwanda est visiblement le pays le plus propre que j’ai jamais visité). Le fait que le pays ait involontairement formé la plus grande équipe de trailbuilders au monde n’a peut-être que peu d’importance pour sa population en ce qui concerne le VTT pour le moment, mais cela fait de ses collines une destination VTT attrayante pour les visiteurs, et une source de revenus pour les locaux, lorsque l’entreprise de guide d’Olivier (ntakibazo-tours.com) décollera – ce qui sera le cas.

Regardez les collines en terrasses du Rwanda et vous verrez d’innombrables sentiers entretenues et/ou réparés par l’umuganda. Elles serpentent entre les habitations à flanc de colline, grimpent dans les forêts et plongent dans des vallées escarpées où tourbillonnent la brume et la fumée des feux de bois. Il y a tellement de chemins ici qu’il est difficile de savoir où commencer, du moins sans connaissance locale, et c’est là qu’Olivier intervient. Certes, l’appétit de notre guide pour les singletracks et son rôle dans la compréhension des subtilités de la vie rwandaise n’ont pas de prix, mais les derniers sentiers que nous explorons – à Burera, une région reculée qui ne voit presque pas de touristes – sont nouveaux même pour Olivier.

L’hébergement touristique le plus proche de ces sentiers se trouve sur la minuscule et paradisiaque île de Cyuza, située au nord du lac Burera et accessible par bateau. Nous y campons pendant quatre nuits, dormant dans de confortables tentes de safari dressées sous des toits de chaume.

Chaque matin, nous chargeons nos vélos sur un bateau au plancher plat pour un trajet jusqu’aux rives de Burera qui clapotent paisiblement ; nous apprécions ces vingt minutes de calme avant que le chaos ne commence.

Pédaler entre les buissons de plants de café, les champs de haricots et les regards curieux nous plonge rapidement dans une autre journée trépidante d’expériences nouvelles et d’interactions animées qui sera marquée par une descente de mille mètres de dénivelé et ponctuée par un déjeuner dans un café coloré de gare routière au milieu de l’agitation de la ville frontière de Butaro. Ici, je regarde passer un camion de police qui patrouille à la recherche de waraji (alcool illégal à base de banane) importé en contrebande de l’Ouganda voisin. La scène pourrait être angoissante mais ne pourrait pas être plus absorbante.

Nous parcourons de grandes boucles sur des pistes de terre rouge et, lorsque nous retournons à notre point de rassemblement en fin d’après-midi, nous avons attiré une foule d’enfants excités et d’adultes curieux, unanimement enflammés par notre randonnée à vélo. Je n’ai jamais vu un endroit aussi enthousiaste – au moins à la hauteur d’une coupe du monde DH – et l’énergie est contagieuse ; elle nous pousse à grimper les côtes et à sprinter les descentes, et remplit chaque pause de rires.

Dès notre premier coup de pédale, la petite ville de Burera s’avère être une mine d’or de singletracks. De longues descentes sinueuses se succèdent sans difficulté sur des flancs de collines en gradins. Rapide et fluide, il est facile de se laisser bercer par une fausse impression de sécurité, jusqu’à ce qu’un ruisseau d’un mètre de large apparaisse soudainement sur le chemin devant vous. Devoir lever la roue avant en urgence, et les quelques fois où l’on a dû mettre à pied à terre nous rappellent que ce n’est pas un bikepark.

Mais malgré la rareté des vététistes, le Rwanda possède l’un des réseaux de pistes les plus étendus au monde, grâce aux efforts d’Umuganda et de la plus grande équipe de trailbuilding. Il est probable qu’il ne reste que peu de temps avant que l’effervescence des sentiers ne concurrence la traque des gorilles ou l’observation des éléphants en tant que motivation pour visiter le Rwanda, un minuscule pays africain qui s’efforce de tourner la page d’un passé troublé. Plus tard, je demande à Olivier ce que les villageois avaient chanté lors du premier umuganda que nous avons rencontré. « Nous le construirons, nous les enfants de ce pays, nous en ferons le paradis pour le monde entier« , dit-il en souriant fièrement.

Pour poursuivre l’évasion, rendez-vous dans nos autres reportages sur le Rwanda :
– Découverte | Rwandan Epic : jour de course, jour de fête en Afrique de l’est !
– Découverte | Rwanda : du VTT au pays des 1000 collines
– Rwandan Epic : plus qu’une course, l’expérience d’une vie

ParAdrien Protano