Blanche est la montagne, noir est son miroir

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Blanche est la montagne, noir est son miroir

A Cogne, au cœur du Val d’Aoste, il existe une des plus belles traces des Alpes à effectuer à VTT. Dans un paysage authentique, elle contourne et enserre presque un pan de montagne qui cache des regards une toute autre vision : celle d’une exploitation minière. Dans le Val d’Aoste, Vojo a rencontré deux mondes que tout oppose, l’un pur et éternel, l’autre anthropique et artificiel.

Au mois d’octobre, la montagne valdôtaine montre un des ses plus beaux visages en se parant de ses couleurs automnales.

Avant les premières neiges qui vont rendre à la montagne sa solitude, il me tarde de rouler sur ces sentiers perlés d’épines or et rouge des mélèzes.

A Cogne, l’air frais et pur fait briller les glaciers et scintiller là-haut une construction, faite d’imposantes ruines. Intrigué, je pars à VTT à la rencontre d’une histoire étonnante… A l’aube du XXe siècle, la Révolution Industrielle est en marche dans les vallées de la Moselle et de la Meuse, tout comme en montagne.

Dans le nord de la France et en Wallonie, alors que le charbon a plongé ses fils dans les entrailles de la terre, à Cogne, ses hommes ont gravi la montagne pour extraire la magnétite, un minerai de fer. Le docteur Grappein, inspiré par l’Esprit des Lumières en France, avait imaginé un système pour répartir de façon solidaire et équitable cette principale ressource du pays issu d’un gisement situé à 2500 m d’altitude.

Grâce au maire humaniste, tout le monde profita des bénéfices de la mine pour de longues années : peu d’habitants de la vallée répondront au son des sirènes des investisseurs. Cogne gardera pour toujours une belle harmonie architecturale.

La cité des nuages

Il me tarde de rejoindre à VTT ce pan de montagne qui renferme dans ses entrailles cette mine d’altitude. De Gimillan, le chemin se montre tout d’abord accessible. Les lacets de la piste carrossable se succèdent à d’anciens poteaux de téléphérique.

Ces installations industrielles ne trompent guère : je roule sur le bon chemin menant à la première mine, celle de Costa Del Pino, la seule partie encore visitée de nos jours. Dans les années 1930 et 1940, alors que les fonderies tournent à plein régime pour soutenir l’effort de guerre de Mussolini, la mine est d’une importance stratégique en fournissant des tonnes de magnétite. Au plus fort de la production, plus de 1000 ouvriers y vivaient, isolés du monde.

Un énorme ascenseur emmenait, à chaque voyage, 10 tonnes de minerai et les hommes à l’autre partie de la mine émergée, Colonna située à 2500 m d’altitude. Dans l’antre humide et froid, le bruit des marteaux-piqueurs était infernal.

Un travail harassant compensé par le luxe qu’offrait la mine. Curieux hasard, le guide du site n’est autre que Lorenzo Mineo, un enduriste de la région. Il va me mener dans les galeries pour une visite passionnante : on se promet de se revoir l’an prochain pour un trail qu’il me promet magnifique…

La plus belle mine du monde

Je le quitte pour aller observer cette véritable ville des nuages, Colonna. A la sortie de Costa Del Pino, point de chemin : un sentier marqué n° 5 sur la roche s’élève, le seul accès possible. Le portage est exténuant mais il permet d’enfiler les 400 m de dénivelé séparant les deux sites miniers. Alors que les nuages s’amoncellent et couvrent une partie de la montagne, apparaissent devant mes yeux les ruines de Colonna : une vraie ville dans les nuages.

Tout était prévu pour que la mine fonctionne en totale autonomie. Les ouvriers bénéficiaient d’eau chaude à 2500 m d’altitude alors qu’en bas, à Cogne, on grelottait. Des murs patinés par le temps, on pourrait encore entendre le bruit des guinguettes, de la fête de la Sainte-Barbe en plein hiver ou écouter le son des cloches de la chapelle. Les tempêtes de neige n’empêchaient pas la mine de fonctionner. Seul parmi les fantômes et les nuages, j’admire cette vue époustouflante depuis la mine, la plus belle du monde selon les mineurs qui y vivaient.

En face, la chaîne montagneuse du Grand Paradis déroule ses sommets de 3000 et 4000m. J’aimerai être cet aigle qui danse dans le vent pour la toucher, mais je ne suis qu’un pauvre humain qui subit les éléments. Les nuages sont bas, la lumière les traverse comme une dernière source d’espoir qu’elle me donne. En quelques minutes, la pluie et le grésille se déclenchent et me chassent hors de cette montagne qui voudrait retrouver sa solitude. Un jour plus tard, les cols se fermeront pour de longs mois d’hiver…

La trace rêvée

Juin 2020 : retour à Cogne. Le village a gardé sa beauté originelle : le tourisme est certes présent mais il s’inscrit dans un développement harmonieux et respectueux de l’environnement. Une route à droite et j’entre dans le Valnontay.

Là, c’est avec plaisir que je retrouve Morgane et Vincent du team Peugeot : ils vont m’accompagner sur l’un des plus beaux singles de toutes les Alpes. Une fois n’est pas coutume, la fée électrique va nous accompagner pour ce trip. Je ne suis pas coutumier du fait, mais vu le dénivelé dans la région, un coup de pouce n’est pas de refus. Un petit coup de fil et Lorenzo, mon guide de la mine, va nous accompagner vers une montagne qui n’ouvre pas facilement son accès aux vététistes. Tout ici n’est que murailles de pierres, de pans de glaciers et de verticalité.

Pourtant, une trace existe : elle va nous porter à près de 3000 m d’altitude. Un coup de baguette magique électrique et la (très) longue côte depuis Lillaz est avalée en une heure. Une ascension qui d’habitude s’effectue à « la pédale », en force : la puissance des moteurs m’étonnera toujours…

Depuis la chapelle Madonna di Nevi, la forêt rabougrie se substitue à une grande plaine d’alpage où coule paresseusement le torrent d’Urtier. Un péché de paresse qui est bien tentant quand on voit ce paysage qui ne demande qu’à être admiré, alors que l’on est couché dans l’alpe fleuri…

Lorenzo, soudain, quitte sa monture et sort son appareil photo de son sac à dos. « Là, regarde, un gypaète barbu… ». Le rapace tournoie : il est l’un des représentants de la faune sauvage du Val d’Aoste et du Parc National du Grand Paradis. L’un des plus grands oiseaux d’Europe a bâti son aire dans les montagnes valdôtaines. Ce vautour qui avait disparu des Alpes au début du siècle dernier est revenu suite à un programme international de réintroduction.

Velours d’alpage

Le col d’Invergneux culmine à 2900 m d’altitude. A une telle altitude, on rencontre habituellement des pierriers, de la caillasse et des névés. Ici, la passe se montre débonnaire, excepté ce tronçon près de la crête sommitale qui vous maudit à cet instant d’avoir un e-bike et de porter son poids d’enclume de marche en marche. Avec un VTT musculaire, la traversée en deviendrait à l’opposé presqu’un jeu d’enfant.

En basculant sur l’autre versant, je plonge dans une haute vallée magnifique. Le gris de la roche se mue vers le vert tendre des premiers alpages et le bleu profond des lacs Doreire.

A 2900 m, la neige vient de se retirer et le printemps émerge dans l’alpe : la nature reprend sa revanche après une longue léthargie hivernale.

Une profusion de fleurs tapisse l’alpage. Nous n’y laisserons aucune trace, soit par un freinage trop appuyé ou un pneu qui coucherait l’herbe. Morgan, Vincent et Lorenzo roulent ainsi devant moi « flow », en toute légèreté. Le VTT suit la trajectoire idéale, à croire que ce single a été dessiné pour n’y laisser que l’empreinte de nos deux roues.

La sente tournoie dans un jardin naturel. La joie est immense de rouler sur du velours.

A l’approche de Grauson Dessous, un ancien hameau d’été où les hommes y vivaient durant le pâturage, la trace se corse : les hautes marches et les gros cailloux raidissent mes muscles.

Si mes 3 compagnons maîtrisent leur VTT, je subis plutôt le mien qui me ballotte dans les épingles serrées.

Je roule sur cet itinéraire qui s’incline devant ces bergeries isolées ou serpente de torrents en ruisseaux. Alors, seulement du haut de cette trajectoire ciselée, je découvre la beauté du sentier, à l’image de ce Val d’Aoste, séduisant comme le plus pur des écrins.

ParPierre Pauquay