Fred Horny: mon Népal avec Jey Clementz et Tito Tomasi

Par Elodie Lantelme -

  • Nature

Fred Horny: mon Népal avec Jey Clementz et Tito Tomasi

Le Népal à vélo, beaucoup en rêvent. Peu le font. Il a suffi d’un coup de fil et d’un break professionnel pour que Fred Horny, rider aussi polyvalent qu’enthousiaste, parte sur les Annapurnas, au pied du Toit du monde. En excellente compagnie : un vainqueur des Enduro World Series, un artiste, un musicien… Fred raconte ce voyage en solidaire.

« – Hello Fritzy, il nous reste une place pour le trip au Népal, tu seras pas déçu du voyage ni de l’équipe !

– Vendu ! »

Connaissant Tito et partageant des rides régulièrement avec lui, je lui fais une confiance aveugle. Une autre connaissance de longue date fait partie du voyage : Jérôme Clementz. La bonne ambiance devrait régner tout au long de ce long et difficile périple ! Font également partie de cette expédition planifiée depuis le début de l’année 2017, Thierry, un haut-savoyard de Cluses qui a la caisse et adore les Snickers, ainsi que deux expatriés réunionnais, Willy et Tim. Le menu prévoit environ 13000 m D+ et 300 km de vélo, le tout souvent à plus de 3500 mètres d’altitude. Ça, c’est sur le papier.

Dans la réalité, les 2 premières journées, passées à Katmandu histoire de visiter un peu et de régulariser l’ensemble de nos permis de trekking, laissent présager d’une excellente émulation de groupe dès le départ. Tito, qui visite le pays pour la troisième fois, après notamment avoir pris part à la Yak Attack l’an passé (l’une des courses XC Marathon les plus dures au monde), avait vu juste en constituant ce groupe de potes. Nous en profitons pour rendre visite à l’orphelinat Buddha’s Helping Hand, que Tito a généreusement soutenu l’an passé à travers son association Vive la Vie !, en organisant une vente aux enchères de maillots de champions (dont un de Jérôme).

Une quinzaine de petites filles et un petit garçon vivent ici, avec presque rien, et semblent les plus heureux du monde de pouvoir enfourcher les 2 BMX qu’ils se partagent sans jamais se chamailler entre une prière et un cours d’anglais. Après des jeux et chansons avec les enfants, repas obligatoire sur place, préparé par Nima, la femme hors du commun à l’origine de cette joyeuse troupe qui remplirait d’humilité le plus narcissique d’entre nous tous.

« Première demi-journée de pédalage à travers la jungle. Démesurée, grandiose, ultra-colorée, peuplée de singes et… humide ! »

Le lendemain, lancement du trip au départ de Besisahar après quelques heures de van. L’équipe est manifestement très bien préparée, les sacs à dos (notre seul équipement pour ces 12 jours) n’excèdent pas les 7 kilos : 1 tee-shirt, 2 Mérinos, 1 cuissard, 1 maillot de vélo, chaussettes, sac de soie, sangles, 1 veste Gore-Tex, bonnets et gants chauds tiennent compagnie à un savon bio et une brosse à dents, à côté de la sacrosainte trousse de secours.

C’est parti pour une première demi-journée de pédalage à travers la jungle. Immense, très colorée, elle livre des paysages démesurés, inhabituels, grandioses, et des singes qui nous narguent de temps à autre par leur vitesse d’évolution.

Elle nous offre également un orage hors du commun ! 3 heures à pédaler sous une pluie dantesque, qui aura raison de nos affaires sèches dès le premier jour. Mais pédaler sous le soleil, tout le monde sait le faire !

Après cette douche grandeur nature, vient la première nuit dans l’un des nombreux lodges présents sur la route. Ceux-ci sont de plus en plus désertés par les touristes, qui filent désormais, pour la majorité, directement au pied du Thorong La Pass (5417m, le col le plus haut du monde) en 4 x 4, depuis l’ouverture d’une piste dédiée. Moins de travail pour les sherpas qui portent les lourds sacs des trekkers, et d’autant moins de rentrées pour les habitants présents sur le seul chemin d’accès à ce col mythique. « Le progrès n’a-t-il que du bon ? », ce questionnement me hantera durant tout le périple.

Le premier soir, nous devons nous rendre à l’évidence : Willy a mal supporté le dernier repas pris à Katmandu. Malade, il s’accroche. Il s’accroche tellement, que nous resterons dans les temps planifiés depuis le départ ! Une machine physique et mentale. Cela laisse bien transparaître une équipe très bien préparée, soudée, se relayant à tour de rôle pour soutenir et épauler un membre en difficulté si besoin.

« À ce moment précis, l’oxygénation de notre corps est celle d’un enfant de 10 ans. On finit au mental. »

2 jours seront nécessaires pour rejoindre Manang, petite « ville » vieille de 500 ans juchée à 3500 m d’altitude. L’étape d’acclimatation des marcheurs avant d’attaquer un des sommets alentour. Sur place, l’Annapurna III (7577 m) nous fait face. Majestueux, puissant, décor féérique.

La journée de repos ne résistera pas longtemps à l’envie de porter nos vélos au sommet d’un trail qui nous réserve une session de ride unique sur une crête rapide, dégagée, surplombant un lac, avec pour toile de fond le Gangapurna (7455 m). 1200 m de dénivelé positif pour un jour de repos… ça nous aura au moins permis de ne pas rester inactifs et d’ingérer en toute impunité les Momos, raviolis locaux faits sur place à la commande !

L’étape-reine est prévue le lendemain :  Manang- Muktinath (3660m), en passant par le fameux col de Thorong La, à plus de 5000 mètres d’altitude. Après un lever aux aurores savouré au Masala Tea (le thé indien aux épices typique), une grosse matinée de pédalage s’ouvre, avant un arrêt-repas à Thorong Phedi (4500m). Ensuite ? Ensuite, c’est l’ascension finale.

Notre tracé du jour nous fait passer par le High Base Camp (4900 m). Là, beaucoup de trekkeurs se reposent. « You ’re the craziest guys here » (« Vous êtes les gars les plus dingues du coin »), nous répètent les marcheurs. Et il faut bien avouer qu’une petite joie égocentrique émerge à voir des marcheurs – qui plus est, pour certains, aidés par des sherpas – en difficulté pour atteindre le camp de base, tandis que nous évoluons avec tout notre matériel et nos vélos sur le dos. Mais la barre des 5000 m se fera ressentir. Le souffle se fait court ; les jambes deviennent raides.

« Nous pénétrons dans le royaume du Mustang, où nous attend notre graal… »

Une fois cette altitude symbolique passée, la V02 Max de l’ensemble de l’équipe est divisée par environ 2,5 par rapport à notre point de départ à 800 mètres. À ce moment précis, l’oxygénation de notre corps est celle d’un enfant de 10 ans. On finit au mental, grâce à des pas de plus en plus petits et une respiration toujours plus rapide. Mais quelle récompense au sommet !

15h30, tout le monde est en haut, face à un panorama indescriptible. Emotions garanties. On pense à tous nos proches qui auraient voulu mais ne pourrons jamais vivre cet instant hors du commun. Quelques maux de ventre et de tête s’installent, mais la descente s’annonce épique. Le single qui nous amène à Muktinath est long, et la glisse qu’il nous propose laisse place à une session drift XXL !

Pas besoin d’aborder la descente à bloc, l’accomplissement se lit d’ores et déjà sur tous les visages. Le soir, l’équipe est fatiguée. Gros dodo. Et nous ne sommes qu’au 4e jour de notre périple…

Nous pénétrons désormais dans le territoire Mustang, avec ses habitants à dos d’ânes, ses longues sessions de freeride rendues populaires par l’excellent « Where the trails ends », et son dal bhat (spécialité locale à base de riz, lentilles et légumes, pour une énergie 24h garantie!). Le vent sera aussi de la partie. Notre cheminement va nous conduire jusqu’au plus près de la frontière tibétaine. Nous nous en approcherons à moins de 2 km.

Nous découvrons le « plat népalais » : Sur la carte, selon toute vraisemblance, le dénivelé du jour devrait tourner autour de 1200 de D+. Mais c’est compter sans les nombreuses courtes descentes et remontées raides des pistes qui peuvent saler l’addition. 800 de D + en rab’. « Y ‘en a un peu plus, j’vous l’laisse… » Jérôme file devant avec Tim et Thierry, Willy a repris des forces et s’exprime à pleins poumons.

Ça doit être sa nature artiste : Tito, lui, s’émerveille sans cesse devant ces paysages désertiques surplombés de sommets à plus de 6000m. Il faut dire que que nous n’évoluons plus en dessous de 3700 m depuis quelques jours, et que ce sera notre lot jusqu’à la quasi-fin du trip.

Après quelques jours de bon ride et de gros pédalage, nous touchons enfin notre graal. La destination finale d’un lieu interdit, oublié, unique grâce à ses couleurs, la chaleur de l’accueil de ses habitants, la vie qui y règne : Lo Mantang, capitale du royaume du Mustang, dernière contrée d’un voyage « au bout du monde ». Je ne m’étais jamais lavé dans une rivière à 3800m d’altitude, c’est désormais chose faite ! La frontière tibétaine est juste là, toute proche.

La demi-journée touristique sur place ainsi que la boulangerie locale s’annoncent salvatrices avant le retour jusqu’à Jomoson (2800m) qui nous attend dans les jours à venir. Au menu, longues montées, et longues descentes sur des trails qui comptent probablement parmi les plus beaux de la planète !

Vient l’heure de repartir. Après quelques tours de roues, Tim casse son corps de roue libre. En mécano toutche-à-tout, Willy passe par là, et après plusieurs essais infructueux, trouve la solution : uune réparation digne d’une des plus grandes séries d’action américaine des années 80. Tim ira jusqu’au bout du trip à la pédale!

« Une expérience humaine et incroyable, portée par l’état d’esprit des membres de l’équipe. »

Le retour s’enchaîne à un gros rythme, les longues montées n’ont d’égal que les descentes d’anthologie. Douze jours après notre départ de Besisahar, nous arrivons à Jomoson. Juste à temps pour fêter le Dipawali, la fête des lumières, avec une population locale euphorique ! Fatigués, certes, mais heureux. Enfin… pas autant que Tito, fier d’avoir constitué ce groupe de potes et d’avoir amené tout le monde au  bout de l’aventure dans la bonne humeur, autour d’une passion commune.

Le retour Jomoson-Katmandu se fera en bus. Une nouvelle aventure en soir, moins humaine que mécanique, avec une lame de suspension puis une rotule réparées en un temps record !

Ce voyage fut une expérience incroyable, portée par l’état d’esprit des membres de l’équipe, un des piliers essentiels de la réussite de cette expédition. Même si je ne conseillerais pas cette aventure à tout le monde (en raison des difficultés mentale et physique qu’il représente), je souhaite à chacun de vivre des émotions aussi fortes dans le partage d’une même passion.

Après une très courte concertation, la veille de notre départ, nous décidons de retourner à l’orphelinat pour offrir 2 vélos supplémentaires aux enfants. Ils ne nous ont pas oubliés, mieux même ! Ils nous avaient confectionné d’autres dessins et cadeaux ! Et à nous de promettre que nous reviendrons les voir….

Jérôme s’envole pour le Chili au moment où j’écris ces lignes, Tito prépare sa prochaine grosse expédition, Willy et Tim s’entraînent pour la Méga de la Réunion, et Thierry continue de limer les sentiers Haut-savoyards.

Bon ride, bon vent, à bientôt sur nos sentiers et… vive la vie !

Texte : Fred Horny. Photos: Fred Horny – Tito Tomasi.

ParElodie Lantelme